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à l’idée de se prononcer, lorsqu’un beau jour le père, sans y entendre malice, était venu lui annoncer le futur mariage de sa fille. Robert, écrasé à cette nouvelle, s’était, dans le délire du désespoir, donné la mort. — Récit et personnages de pure invention, comme le trahissait le début même de ce roman. Ce n’est pas que Robert ne fût susceptible d’une pareille exaltation muette, et ne pût être frappé de ce qu’on appelle le coup de foudre en amour. On pourrait même dire que sa passion platonique d’artiste le livrait à des admirations juvéniles, et qu’il portait fort souvent son cœur en écharpe, suivant une expression rendue célèbre par Chateaubriand. Toutefois, ame essentiellement religieuse, pour ne pas dire mystique, protestant rigide avant d’être artiste, et ne séparant jamais la terre du ciel, il n’eût point apporté au prêche un esprit distrait en présence des plus ravissans modèles[1].

Une autre dame, mistress Trollope, proposa une variante également fabuleuse aux causes de la mort de Léopold. C’était, suivant elle, un désespoir religieux et la suite d’indiscrets efforts d’une parente du peintre pour lui faire abjurer sa communion et embrasser le catholicisme. Dans une lettre écrite de Venise, le 3 décembre 1831, à M. Snell, Robert s’explique de la manière la plus nette sur ce prétendu changement de communion : « Comme vous, lui dit-il, je ne ferais pas un crime à celui qui, par conviction, changerait de culte, mais je n’en suis pas là. Tout en pensant être religieux, je vois la religion plus grande que ceux qui s’attachent aux petites pratiques et disputent sur les mots. Ainsi, mon ami, veuillez dire à l’occasion que je ne suis nullement disposé à un changement. »

Ce qui avait pu donner lieu à ce bruit, c’est qu’en effet Robert avait écouté, à une certaine époque, à Rome, un monsignore, et qu’un instant persuadé par la pressante argumentation du prêtre, il avait été sur le point de se faire catholique ; mais il était vite retourné à la croyance de sa mère, et n’avait gardé de ses hésitations qu’une profonde tolérance. Par habitude d’artiste, il allait beaucoup dans les églises et se laissait prendre à l’éclat des cérémonies catholiques. Un pays comme l’Italie, bercé de légendes qui ont tari l’imagination des habitans sans lasser leur antique crédulité, doit puiser à une telle école l’impiété d’un esprit fort ou la superstition d’un enfant. Il y a un peu de tout cela à Rome, à Naples et à Venise, au milieu des plus pures croyances ; mais qu’importe à l’artiste, qui n’a point à considérer le pays en philosophe ? D’ailleurs, Robert s’accommodait volontiers de quelques coutumes du catholicisme (la fête des morts par exemple), quand

  1. Du reste, la délicatesse de certains traits de cette nouvelle révélait une plume de femme, et quelques personnes distraites avaient ajouté foi au récit. L’auteur est Mme la comtesse César de Valdahon, née de Saporta, qui habite le château d’Azans, près Dôle. La brochure de 116 pages a été imprimée à Auxerre, chez Gallot-Fournier, 1835.