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ces belles localités qui sont dans la nature : il avait su mettre quelque chose de lui-même dans les fonds et dans les accessoires : la diversité des plans était mieux sentie ; tout l’ensemble était monté sur une gamme modulée avec plus d’harmonie et de force. Ce n’est point à dire cependant qu’il fût d’un coup devenu maître ni dans la science de la couleur ni dans la science du clair-obscur, cette entente de la distribution de la lumière et de l’ombre qu’inventèrent Léonard et le Corrége, que pratiqua et dont se joua souvent Rubens, que Rembrandt porta au plus haut degré de l’art, de l’art immortel et divin. Encore une fois, il eut l’inspiration, il eut la puissance d’expression et de dessin, il eut le caractère, le sentiment du beau dans le simple ; il fut un grand artiste, mais, moins préoccupé des conditions matérielles de son art que des parties intellectuelles, il était malhabile à dégrader les plans, à tirer parti d’une figure dans l’ombre, à sacrifier l’accessoire au principal. En un mot, en même temps qu’il ne fut point coloriste, il ne compta point parmi ses qualités essentielles le pouvoir du clair-obscur ; il fut assez fort pour s’en passer. Pitoyable manie en peinture de ne juger que d’un seul point de vue ! À ce prix, l’école florentine et la plus grande portion de l’école romaine seraient rayées de la liste des peintres. Le divin Raphaël, qui n’a été étranger à aucune des parties de l’art, qui a été si merveilleux par les finesses de la couleur locale dans sa Madone de Foligno, dans son Léon X, etc., a-t-il toujours été coloriste ? Non assurément : l’entente supérieure des grandes harmonies de la couleur n’était point sa qualité dominante, et la plupart de ses belles pages en sont dépourvues. Ainsi du clair-obscur. Le Poussin n’a pas non plus recherché toujours ce clair-obscur dont on mène tant de bruit ; en est-il moins un peintre inspiré, un des plus grands peintres d’expression qui aient honoré le pinceau ? Quels que soient les élémens qui composent le talent d’un artiste, l’ensemble, l’accord entre tous ces élémens forment une des principales conditions de l’art ; mais il suffit d’une des qualités essentielles portée à un degré éminent pour faire un grand peintre. Cette double condition, Robert l’a remplie. Il eut ce don inappréciable, qu’il ne releva de personne. Enveloppé de toutes parts et comme embaumé (aurait dit Montaigne) dans l’école coloriste de Venise, il ne chercha point à s’en assimiler la qualité distinctive. Il n’avait pas dans ses instincts, il n’avait pas non plus dans sa volonté ce qu’il faut pour tirer parti des maîtres de la lumière : avant tout, il voulait être lui, sentant trop bien que l’imitation eût jeté en dehors de ses voies naturelles un homme né moins coloriste que dessinateur. « Je m’enfuis de Venise, de peur de devenir coloriste, » disait le Poussin.

Néanmoins la dernière œuvre de Robert, sous le rapport pittoresque, était un progrès notable et plein de promesses. Or, dans les arts ainsi que dans les lettres, la difficulté n’est pas aujourd’hui de percer et d’arriver,