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nisme d’une petite église, comme la preuve éclatante qu’on ne pouvait rien faire en dehors d’elle. Le ministère, pour son malheur, parut trop imbu de cette confiance que certains d’entre ses intimes avaient l’air de nourrir. Il vota tout entier comme M. Clément Thomas. 602 voix contre 211 lui montrèrent qu’il s’était trompé. Le lendemain, l’assemblée eut beau faire justice des diatribes excentriques de la montagne contre les officiers-généraux qui ambitionneraient la présidence, le coup était porté et le cabinet malade.

Il ne s’agissait, il est vrai, que d’une question de constitution, dans laquelle les ministres n’étaient censés voter qu’en leur qualité de représentans, Ils allaient, à deux jours de là, recevoir un échec plus direct, en leur qualité même de ministres. Jeu bizarre de la fortune des combats parlementaires, et comme il est bien vrai que les causes secondes sont souvent peu de chose ! L’auteur occasionnel de cet éboulement politique qui nous empêchait de respirer depuis trois jours n’a été ni plus ni moins qu’un journaliste sans conséquence, qui, pour grandir son journal, était venu parler à la tribune, où jamais on ne l’écoute, de la liberté de la presse, que des personnes plus autorisées avaient déjà deux fois inutilement défendue. Cette fois-ci, l’ordre du jour sur la proposition relative à cette liberté de la presse si compromise par l’état de siège, l’ordre du jour ministériel ne passa qu’à 5 voix de majorité, dont 9 voix de ministres.

C’était une minorité bien caractérisée. Le cabinet, tel qu’il était constitué, avait l’assemblée contre lui. Il remit sa démission collective au chef du pouvoir exécutif. L’assemblée donnait ainsi un avertissement sévère au général Cavaignac ; elle en appelait en même temps à son patriotisme. L’assemblée comptait évidemment et avait lieu de compter que le général ne ferait point défaut aux circonstances, qu’il ne se retirerait point devant une modification nécessaire, qu’il s’y prêterait au contraire et s’y attacherait, qu’il userait enfin de la crise pour retremper une autorité dont la préservation est une garantie de salut commun. Le général n’a point d’adversaires dans la majorité compacte de l’assemblée nationale ; qu’il le sache et qu’il emploie au profit de l’état cette rare bonne fortune que lui font les événemens. Dernièrement encore, lorsque l’impatience gagnait un certain groupe de représentans où les républicains de la veille ont trop long-temps cherché des ennemis de la république, lorsqu’on s’irritait là des indécisions du pouvoir exécutif, ce sont des hommes comme M. Molé, comme M. Thiers, qui ont pris hautement et sans arrière-pensée la défense du général Cavaignac. Le général a répondu dignement à ce bon vouloir qu’on lui témoigne en demandant le concours des trois ministres qui sont entrés aujourd’hui en possession de leurs départemens respectifs ; ils n’y sont entrés qu’avec l’assentiment sympathique de tous leurs amis. Nous avons été assez francs, et d’une franchise souvent assez rude, dans l’appréciation des personnes et des actes du cabinet maintenant recomposé, pour avoir le droit de rendre justice à ceux qui n’en font plus partie. Leur plus grand tort était évidemment de n’avoir point de vocation politique ; M. Recurt et M. Vaulabelle, en particulier, n’avaient pas davantage la vocation administrative, et il n’était pas difficile de reconnaître qu’ils ne restaient point de leur gré sur ce faîte du pouvoir où ils étaient obligés à une représentation quelconque, tout-à-fait en dehors de leurs antécédens et de leurs goûts. La représentation n’aurait pas déplu à M. Senard ; ce n’était pas la pompe, c’était le tact qui lui manquait. Les uns et les autres,