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Il n’y a que les républicains de naissance qui ne lui pardonneront pas : nous verrons s’ils sont nombreux.

Il faut rapidement esquisser l’histoire de cette crise, qui commence avec la quinzaine, et dont le dénouement date de quelques heures.

À travers l’anxiété des derniers jours, on n’a peut-être pas oublié la scène amenée dans l’assemblée par l’héroïsme un peu provocateur de M. Denjoy, les interpellations adressées aux ministres sur le banquet de Toulouse, la ferme réponse du général Lamoricière et l’indécision de M. Senard. Cette indécision produisit tout de suite sur l’auditoire un effet de mauvais augure, un effet pire que n’en avaient jamais encore occasionné les maladresses parlementaires du ministre de l’intérieur. Vint la discussion relative à l’élection du président de la république. D’abord, y aurait-il un président ? L’extrême gauche ne voulait qu’un chef de cabinet, qui durerait tant que durerait sa majorité. Avec le système d’une seule assemblée, l’extrême gauche avait la logique pour elle ; heureusement qu’il y a toujours un certain bon sens qui empêche l’erreur d’être conséquente, quand la conséquence mènerait trop loin. M. Fresneau, M. de Tocqueville et surtout M. de Lamartine se prononçaient pour une présidence décernée par le suffrage universel. Un orateur nouveau, qui a fait preuve d’une grande distinction, M. Parieu, soutenait, avec de très bons argumens, la nomination du président par l’assemblée. Les argumens, en effet, ne manquaient ni d’un côté ni de l’autre. — Votre président n’aura pas son point d’appui dans la nation, s’écriaient les partisans de l’appel au peuple. — Leurs adversaires répondaient qu’en appeler au peuple, c’était, comme disait M. Parieu, dresser le bilan de nos discordes, former les cadres de la guerre civile sous l’œil de l’étranger. Le mot de la discussion, il était, en somme, dans la crainte de cette candidature écrasante et miraculeuse que l’on sait : ce mot, M. de Lamartine l’a dit hardiment ; son discours restera. On croirait que M. de Lamartine veut regagner le terrain qu’il a perdu.

La question ainsi posée avait encore été rendue plus pressante par une note du Moniteur ; le gouvernement semblait mettre l’assemblée au pied du mur en annonçant l’intention de faire déterminer la date de l’élection du président pour l’époque la plus prochaine, aussitôt que l’assemblée aurait voté sur le mode de l’élection. Si donc l’assemblée se risquait à braver ce péril électoral, dont l’appréhension était au fond de toutes les consciences, elle était bien informée que le péril ne tarderait pas à se produire. C’était une suggestion peut-être un peu trop directe, pour l’engager à éluder l’inconvénient en se chargeant elle-même de cette scabreuse nomination. Que si elle s’en chargeait, on prévoyait bien qui elle nommerait. Cette prévision ayant presque revêtu la tournure d’une injonction dans la bouche de certains républicains, dont le tempérament colérique a toujours des réminiscences de caserne, il y eut dans l’assemblée bon nombre de gens qui crurent deviner l’allure d’un triomphe de coterie sous le grave appareil de la démonstration d’une nécessité politique. Il était sans doute plus conforme aux principes que le peuple entier dans une république démocratique déférât la première place à l’élu de son choix. Il est cependant permis de douter que le principe eût réuni une majorité aussi nombreuse, si, en remettant l’élection du président aux votes de l’assemblée, beaucoup n’avaient pas appréhendé que la seule désignation possible dans l’état des choses ne fût exploitée par le purita-