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mais alors que fût devenu Hypérion ? « Vous affirmez, a ajouté M. Babinet, que l’action de votre planète sur Uranus ne commence qu’en 1812 ; comment donc expliquez-vous les difficultés des tables de Bouvard, fondées sur des observations qui finissent justement à cette époque ? — Tout simplement, a répondu M. Leverrier, par la raison que les observations employées ne vont pas, comme vous l’affirmez, jusqu’en 1812, mais bien jusqu’en 1821. Voici les tables. -Mais du moins, a encore objecté M. Babinet, vous vous êtes trompé en disant que les perturbations d’Uranus déterminées par Neptune ne sont connues qu’au dixième de leur valeur ; cela n’est pas possible, puisqu’elles sont de cent quatre-vingts secondes. » M. Leverrier a pu encore opposer une réponse victorieuse à cet argument. « C’est justement, a-t-il dit, pour avoir attribué cette valeur considérable aux perturbations que M. Mitchell s’est fait désavouer par son confrère, M. Pierce. » Alors, faisant des efforts désespérés pour sauver le malheureux Hypérion, M. Babinet s’est si bien fourvoyé, que M. Leverrier, reprenant l’argumentation dans ce qu’elle avait de saisissable, n’a pas eu de peine à prouver qu’elle conduisait tout droit à la découverte d’un second et même d’un troisième soleil.

L’issue de ce débat a été, on le voit, favorable à M. Leverrier ; mais, si les argumens de M. Babinet contre la découverte de Neptune ont été promptement réfutés, ses théories hasardées n’en ont pas moins trouvé d’assez nombreux partisans. Séduits par l’exemple, d’aventureux astronomes prennent chaque jour possession d’astres imaginaires dans tous les points du ciel. Si plus tard, par des méthodes analogues à celle de M. Leverrier, un savant géomètre arrivait à un résultat aussi précis pour une nouvelle planète, en quelque point qu’il la plaçât, il se trouverait, tant sont nombreux les frelons de la science, quelqu’un pour en revendiquer la prédiction. « Ne vous occupez pas de la théorie de Mercure, disait Moeslinius, le maître de Kepler, à ses élèves, si vous tenez à votre repos. » M. Leverrier peut donner à bon droit le même conseil aux astronomes tentés de marcher sur ses traces, car la propriété n’est pas moins contestée aujourd’hui dans le ciel que sur la terre. Tous les moyens ont paru bons à la critique pour attaquer une découverte qui honore à la fois M. Leverrier et la science. En prenant pour type l’orbite encore contestable de M. Walker, on s’est appliqué à choisir dans les résultats obtenus par M. Leverrier ce qui s’éloignait le plus, en apparence, de ces courtes et imparfaites observations ; on a, ce que l’ignorance seule ne saurait expliquer, confondu la longitude et la distance moyennes, la longitude et la distance vraies, et on s’est appuyé sur des erreurs toujours inférieures à celles contenues dans les tables de Jupiter, de Saturne et d’Uranus, c’est-à-dire de planètes observées depuis plusieurs siècles. En résumé, la direction, la distance au soleil et la masse de Neptune, c’est-à-dire les trois seules choses qu’on fût en droit de demander à M. Leverrier, sont exactes dans sa théorie au-delà de toute espérance. L’astre qu’on a trouvé, comme celui dont il a donné à priori les élémens, rend parfaitement compte des perturbations d’Uranus ; les différences rigoureusement calculées depuis cent vingt ans n’ont en moyenne que 18 degrés, et cette grande accusation, dont on a fait tant de bruit, est déjà rentrée dans le néant, d’où jamais elle n’eût dû sortir.