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que la planète observée ne rendait pas un compte exact des perturbations d’Uranus, et c’est, nous le croyons, en partant de ce fait comme d’une vérité acquise, que M. Babinet s’était vite mis à l’œuvre, pour s’assurer la propriété d’une seconde planète pouvant concourir avec Neptune à produire ces perturbations. Le savant secrétaire cherchait encore sa planète, quand il fut reconnu de la façon la plus positive que Neptune rendait un compte exact des perturbations d’Uranus ; mais M. Babinet, qui depuis long-temps caressait l’idée d’une découverte, ne voulut pas s’arrêter dans ses laborieux calculs. Il accepta résolûment l’une ou l’autre hypothèse, et marcha sans se déconcerter vers une conclusion à laquelle il tenait beaucoup plus qu’aux points de départ. Ayant déjà, dans le voisinage du soleil, constaté, en imagination du moins, la présence de petites planètes qu’il appelle Vulcain, Polyphème, etc., M. Babinet voulait avoir aussi à tout prix son astre aux limites extrêmes de nos mouvemens planétaires. Hypérion (c’est le nom dont il a baptisé sa planète) une fois trouvé dans son esprit, il fallait le défendre : c’était là une grave question de propriété. Le plaidoyer de M. Babinet ressembla malheureusement beaucoup trop à un réquisitoire.

La cause de M. Leverrier était celle de l’Académie, de la science tout entière ; nous devons reconnaître qu’elle a été dignement soutenue par l’habile astronome. On avait espéré qu’il serait facile d’égarer l’opinion sur des faits qui se passent dans des régions si éloignées de nous Les méthodes qui servent à vulgariser la science se prêtent trop souvent, dans les mains des habiles, à propager l’erreur, et c’est en réduisant en lieues de poste les différences des rayons, en supputant avec un effroi simulé les millions de kilomètres dont la théorie de M. Leverrier se trouvait parfois en défaut, qu’on espérait frapper les esprits. Ce qu’on omettait de dire, c’est que, pour l’astronome habitué à plonger par la pensée dans les profondeurs de l’espace, ces distances, dont on nous effraie, deviennent insensibles. Tous les savans connaissent l’œuvre magnifique par laquelle Bessel a déterminé la distance d’une étoile à la terre. Bessel a de plus, en homme consciencieux, apprécié l’erreur à craindre dans le résultat qu’il a obtenu. Or, si l’on s’avisait d’exprimer cette incertitude en lieues de poste, c’est-à-dire de la comparer aux distances infinitésimales auxquelles nous sommes habitués sur la terre, on ridiculiserait aux yeux du public un travail qui fait l’admiration des astronomes. L’incertitude est, en effet, de mille milliards de lieues. Sur une carte considérable, où M. Leverrier a tracé pour chaque époque la marche d’Uranus et de sa planète relativement au soleil dans leurs situations respectives, nous avons pu voir par nous-même ce qu’on devait penser des erreurs dont on a fait à dessein tant de bruit. La situation de la planète, lui disait-on, n’est exacte que pour 1846. Nous avons vérifié que la théorie faisait reconnaître avec une égale exactitude le lieu où se trouvait la planète, non-seulement en 1846, mais dix ans, vingt ans, un demi-siècle plus tôt, en sorte qu’au moyen de la carte, un astronome eût également trouvé l’astre cinquante ans avant M. Galle.

Il est vrai de dire qu’en présence de faits aussi concluans, et poussé à bout par l’évidence, l’adversaire de M. Leverrier a reconnu, séance tenante, qu’en accusant la théorie d’erreurs énormes, il avait pu se tromper, faute d’avoir fait les calculs nécessaires. Si M. Babinet, sur cette franche déclaration, avait abandonné le débat, nous n’aurions à lui reprocher qu’une erreur et un peu de brusquerie ;