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droit, telle qu’elle a éclaté dans la grande ame de la France régénérée, a terminé notre éducation. Le génie de 89 a dit comme le Dieu de la Genèse : Faciamus hominem ! Depuis cette mémorable époque, l’homme est debout, l’homme tout entier. Veillons sur lui et prenons garde qu’on ne le ramène à l’antique esclavage. Or, comme il n’y a pas un système socialiste qui ne viole ces deux principes, nous avons le droit d’affirmer que, sous leur masque hypocrite, ces théories ne sont que les vieilles erreurs et les vieilles tyrannies acharnées à la ruine de l’esprit moderne.

Et s’il y a, comme je n’en doute pas, quelques esprits distingués, s’il y a de généreux rêveurs embarqués sur cette nef des fous qui emporte le socialisme loin des grandes voies du genre humain, quelle conclusion devons-nous en tirer ? quel est le sens sérieux de ces symptômes ? Ne faut-il pas avouer que la société a bien des progrès à accomplir, bien des misères à soulager, bien des injustices partielles à faire disparaître ? Oui, sans doute. L’assemblée nationale a déjà fait des lois utiles ; les assemblées à venir en feront à leur tour, car la société doit veiller jour et nuit, et nous sentons en nous un idéal de liberté et de justice dont il importe de se rapprocher sans cesse, bien que nous soyons condamnés sur cette terre à ne jamais le réaliser tout entier. Ce n’est pas là cependant la conclusion la plus importante ni le remède le plus urgent de nos misères. La vraie conclusion, la voici : c’est qu’il faut réveiller en nous et le sentiment du devoir et le sentiment de la liberté. C’est pendant le sommeil de ces deux guides que les théories désastreuses font invasion et commencent leur sabbat. Quand la morale publique se perd, le socialisme sensuel divinise nos passions et veut nous livrer aux bêtes ; quand la conscience du droit s’affaiblit, les théoriciens de la servitude nous proposent, au nom du progrès, l’anéantissement de la liberté et de la vie. Il n’est pas bon que l’esprit moderne s’endorme ; l’engourdissement est funeste à ce vainqueur derrière lequel tant d’ennemis conspirent encore ; s’il s’assoupit et s’affaisse, les fantômes du passé, les spectres maudits se dressent pour le frapper au cœur. Réveillons-le donc et soutenons-le dans les glorieuses difficultés de sa tâche. Philosophes ou prêtres, écrivains, publicistes, artistes même, chacun dans notre sphère, chacun selon la mesure de nos forces et la condition de nos travaux, faisons luire à ses yeux la sainte loi du devoir, faisons-lui comprendre enfin la sévère grandeur de la liberté !

Saint-René Taillandier.