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prince, l’espoir du pauvre, le refuge du coupable repentant, eh bien ! ce nom incommunicable, désormais voué au mépris et à l’anathème, sera sifflé parmi les hommes, car Dieu, c’est sottise et lâcheté ; Dieu, c’est hypocrisie et mensonge ; Dieu, c’est tyrannie et misère ; Dieu, c’est le mal… Esprit menteur, Dieu imbécile, ton règne est fini… Dieu, retire-toi ! car dès aujourd’hui, guéri de ta crainte et devenu sage, je jure, la main étendue vers le ciel, que tu n’es que le bourreau de ma raison, le spectre de ma conscience. » Avons-nous fini ? Pas encore. M. Proudhon affirme qu’il conduit l’homme à la science absolue ; il a une confiance sans bornes dans les procédés infaillibles de sa dialectique, et il prêche ailleurs le plus complet scepticisme lorsqu’il assure que nous sommes réduits à commencer toutes nos recherches par deux choses que nous savons également fausses, la matière et l’esprit. Quel est l’homme qui a écrit ces mots : « Ce que j’appelle en moi science n’est qu’une collection de jouets, un assortiment d’enfantillages sérieux qui passent et repassent dans mon esprit ? » C’est celui-là même qui a épuisé dans ses affirmations toutes les formules de l’assurance la plus hautaine, et qui s’exprime comme les oracles. Est-ce tout ? Il s’en faut bien. Le même homme qui proteste, dit-il, de toutes les forces de son ame contre le culte du matérialisme est celui qui ose tracer ces lignes : « Il n’y a pas plus de raison pour voir de l’intelligence dans la tête qui a produit l’Iliade que dans une masse de matière qui cristallise à octaèdres. » Et plus loin : « La philosophie de l’histoire n’est pas dans ces fantaisies semi-poétiques dont les successeurs de Bossuet ont donné tant d’exemples ; elle est dans les routes obscures de l’économie sociale. Travailler et manger, c’est, n’en déplaise aux écrivains artistes, la seule fin apparente de l’homme. Le reste n’est qu’allée et venue de gens qui cherchent de l’occupation ou qui demandent du pain. Pour remplir cet humble programme, le profane vulgaire a dépensé plus de génie que tous les philosophes, les savans et les poètes n’en ont mis à composer leurs chefs-d’œuvre. » Cet homme qui a écrit des pages pleines de force et de grace sur la sainteté du mariage, sur la vertu de la famille, cet homme qui repousse avec dégoût tous les systèmes sensuels de nos jours et la déification de nos instincts, c’est lui qui écrit brutalement : « N’oubliez jamais que la pitié, le bonheur et la vertu, de même que la patrie, la religion et l’amour, sont des masques. » Cette fois, est-ce assez d’exemples ? À quel nombre sommes-nous arrivés ? Dans une excellente critique de la démocratie socialiste, après avoir signalé sept contradictions essentielles chez M. Louis Blanc, M. Proudhon s’arrête tout à coup, car il n’aurait pas fini, dit-il, à septante-sept. Je demande la permission de m’arrêter aussi, et je donnerais le même motif, si je ne trouvais le chiffre bien modeste.

Maintenant, ce logicien livré aux contradictions, c’est-à-dire, pour