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apparence du moins, la vieille objection du mal physique et du mal moral ; on sait qu’il aime l’extraordinaire, et l’emploi de ce raisonnement mille fois réfuté aurait médiocrement satisfait l’orgueil du novateur. Aussi, pour mieux signaler aux connaisseurs l’originalité de son blasphème, il commence par réfuter lui-même la logique des vulgaires athées. Cette réfutation est un des meilleurs chapitres de l’auteur, et il y trouve matière à d’admirables peintures. M. Proudhon repousse à la fois et les socialistes qui affirment la bonté absolue, la bonté originelle de la nature humaine, et les athées qui, reconnaissant le mal dans l’homme, s’arment de ce fait pour nier la Providence. Il établit que le mal est en nous, et il n’en accuse pas le créateur. Je veux citer la page éloquente où M. Proudhon résume toutes les misères et toutes les contrariétés de notre nature. On jugera peut-être qu’il les exagère, comme faisait Pascal par des motifs bien différens ; mais l’apothéose de l’homme a pris, depuis une vingtaine d’années, des proportions si monstrueuses, Hegel, Saint-Simon, Fourier et leurs disciples ont tellement infecté les esprits d’un titanique orgueil, que le contre-poison peut être, sans grand dommage, administré d’une main vigoureuse. « L’homme, abrégé de l’univers, résume et syncrète en sa personne toutes les virtualités de l’être, toutes les scissions de l’absolu ; il est le sommet où ces virtualités, qui n’existent que par leur divergence, se réunissent en faisceau, mais sans se pénétrer ni se confondre. L’homme est donc tout à la fois, par cette agrégation, esprit et matière, spontanéité et réflexion, mécanisme et vie, ange et brute. Il est calomniateur comme la vipère, sanguinaire comme le tigre, glouton comme le porc, obscène comme le singe, et dévoué comme le chien, généreux comme le cheval, ouvrier comme l’abeille, monogame comme la colombe, sociable comme le castor et la brebis. Il est de plus homme, c’est-à-dire raisonnable et libre, susceptible d’éducation et de perfectionnement. L’homme jouit d’autant de noms que Jupiter : tous ces noms, il les porte écrits sur son visage, et, dans le miroir varié de la nature, son infaillible instinct sait les reconnaître. Un serpent est beau à la raison ; c’est la conscience qui le trouve odieux et laid. Les anciens, aussi bien que les modernes, avaient saisi cette constitution de l’homme par agglomération de toutes les virtualités terrestres ; les travaux de Gall et de Lavater ne furent, si j’ose ainsi dire, que des essais de désagrégement du syncrétisme humain, et le classement qu’ils firent de nos facultés, un tableau en raccourci de la nature. L’homme enfin, comme le prophète dans la fosse aux lions, est véritablement livré aux bêtes… Il ne s’agit donc plus que de savoir s’il dépend de l’homme, nonobstant les contradictions que multiplie autour de lui l’émission progressive de ses idées, de donner plus ou moins d’essor aux virtualités placées sous son empire, ou, comme disent les moralistes, à ses passions ; en d’autres