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écarts. Il faudrait aussi prier l’intrépide écrivain de vouloir bien nous expliquer certaines formules écrites dans une langue dont nous n’avons pas le dictionnaire. Peut-être alors, s’il nous donne la clé de ses hiéroglyphes, ne serait-il pas très difficile de défendre le syllogisme et l’induction ; car M. Proudhon emploie contre la philosophie la tactique dont il se sert contre la propriété : il imagine, pour le besoin de sa polémique, je ne sais quelle philosophie apocryphe, une philosophie ridicule, absurde, et il en triomphe comme un prédicateur de village. Le syllogisme et l’induction, tels qu’il les présente, réduits à un pur mécanisme, séparés de l’observation et de la raison, opérant dans le vide ou sur des préjugés, sont, à coup sûr, de médiocres instrumens. M. Proudhon est presque tenté de les déclarer impossibles, comme il l’a fait pour la propriété ; il oublie que la propriété existe depuis six mille ans, et que l’induction a créé des sciences. Quant à sa théorie particulière, il est possible que l’art de penser s’enrichisse encore de méthodes plus savantes ; tous les instrumens ne sont pas découverts. Quelque opinion que l’on se forme des résultats fournis par la logique de Kant et de Hegel, on ne saurait nier qu’elle ait agrandi la gymnastique de l’intelligence ; il ne paraît pas cependant que la théorie sérielle, malgré la subtile vigueur de M. Proudhon, réunisse jusqu’à présent toutes les conditions désirables pour remplacer la vieille et immortelle logique constituée par le génie d’Aristote, développée et fécondée par les modernes. Bien plus, si l’on réussit un jour à enseigner scientifiquement l’art de grouper toutes les idées d’après leur série, d’en dresser le tableau complet et de fournir ainsi à l’esprit de l’homme une commode et infaillible encyclopédie qui ne serait pas moins que la science universelle, ne devra-t-il pas arriver que le syllogisme et l’induction se retrouveront encore dans cet ars magna, dans cette miraculeuse architecture ? Cette théorie sérielle du novateur, on l’appelait jadis, sans tant de fracas, association des idées, abstraction, généralisation, et ce qu’il y a d’ingénieux, de sensé, ce qu’il y a d’admissible dans la logique de M. Proudhon, n’est qu’une étude plus subtile de ces antiques méthodes qui n’ont jamais manqué à une philosophie sérieuse.

N’insistons pas davantage : ce sera assez de juger la méthode nouvelle par ses produits. Or ; M. Proudhon, à la fin de son traité de logique, nous fait entrevoir les plus brillantes perspectives : le monde est expliqué, la métaphysique est construite, toutes les contradictions des systèmes sont résolues, et la cité de l’homme s’élève dans sa splendeur. Voilà ce que doivent contenir les deux volumes de M. Proudhon. J’aimerais mieux, je l’avoue, un prospectus moins éblouissant, et je me rappelle avec un charme singulier cette déclaration si sage du modeste Nicole dans l’un des discours préliminaires de la Logique de Port-Royal :