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épuisé tous les moyens de conciliation ; je le fais, forcé par les complots d’une faction dont le ministère hongrois n’est que l’instrument légal, et qui, poursuivant ses criminels projets, ne vise qu’à abaisser la majesté royale, à détruire l’alliance sacrée qui attachait la Hongrie et les royaumes-unis à son roi et à sa constitution.

« C’est en vain qu’on voudrait appeler révolte ou trahison une démarche qui n’est inspirée que par le pur amour de la patrie et la fidélité à notre roi. Qu’on ne craigne point d’ailleurs que je veuille retirer aucune des concessions, aucun des privilèges accordés récemment par la parole royale à la nation hongroise. Tout ce qui a été fait légalement sera conservé ; ce n’est point un ennemi qui envahit les plaines de la Hongrie, c’est un ami qui vient au secours des sujets loyaux du roi constitutionnel. Ils me tendront une main fraternelle, et, avec le secours de Dieu, nous délivrerons le pays du joug d’un gouvernement incapable, odieux et rebelle. »

On le voit, sans laisser de côté la querelle nationale et les anciens griefs, le ban de Croatie ne parlait plus seulement comme le chef d’une province insurgée, ou d’un royaume allié revendiquant à main armée ses justes droits ; c’est aussi, c’est surtout le langage d’un lieutenant de l’empereur, qui rappelle les peuples à la fidélité qu’ils doivent tous au souverain. Sans qu’on puisse précisément marquer le point de la transition, à mesure que le gouvernement autrichien accepte plus franchement son secours inespéré, le rôle de Jellachich se dessine plus nettement. Il veut, il proclame la liberté pour toutes les nationalités, l’égalité pour toutes les races, mais sous l’autorité vénérée de l’empereur, du père, comme il l’appelle autre part.

Libre dans sa marche, Jellachich s’avança par la route militaire d’Esseg à Funfkirchen, vers l’extrémité du lac Balaton ; ce lac est une petite mer intérieure plus longue que le lac de Genève ; il ferme la base du triangle dont la Drave et le Danube forment les deux côtés, et à la pointe duquel est située la Croatie. Tournant la pointe occidentale du lac, le ban arriva au château de Kesthély, qui déjà, en 1809, avait reçu l’état-major de l’armée française ; de ce point jusqu’à Sthulweissenbourg[1], la route qui conduit à Pesth est resserrée entre les bords du lac et les dernières hauteurs des montagnes couvertes par la forêt de Bàkony. La population est composée partie d’Allemands et partie de Hongrois. Le ban arriva sans rencontrer d’ennemis jusqu’à une journée de Pesth.

L’approche de l’armée croate n’avait fait à Pesth qu’exalter les passions révolutionnaires et ôter les dernières chances au parti modéré.

  1. Sthulweissenbourg est l’ancienne Albajulia, capitale des premiers rois de Hongrie. On y montre encore le tombeau et les reliques de saint Étienne, sur lesquelles les rois prêtent le serment au couronnement.