Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 24.djvu/274

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

idole et avec elle aussi son nom, sa gloire, sa renommée dans l’histoire, consolation lointaine du génie vaincu dans la lutte.

Comme les ames passionnées, Széchény était d’ailleurs sujet à des accès de découragement ; quelquefois il doutait de l’œuvre à laquelle il s’était dévoué. Il se demandait s’il n’aurait pas mieux valu ne rien entreprendre, lorsque, voyant avancer les années, il sentait que rien n’était fondé encore ; il pressentait vaguement la tempête qui s’est déchaînée. « Si les combles de l’édifice ne sont pas vite achevés, disait-il, nous retomberons encore dans le chaos. » Il a entrevu le chaos, et la douleur lui a obscurci les yeux. Espérons encore ; que les nombreux amis que son caractère et sa noble hospitalité lui avaient faits à travers l’Europe espèrent avec nous : ce malheur peut n’être que passager ; il cessera avec les malheurs du pays, et, dans des temps meilleurs, le flambeau rallumé de cette intelligence si brillante éclairera encore ses concitoyens et leur montrera la route.

A la suite de ce tragique événement et de la division qui s’était manifestée dans le ministère, le parti radical, certain de la majorité qui devait lui rester fidèle dans l’assemblée, se détermina brusquement à remettre sa démission entre les mains du palatin. Il espérait que celui-ci n’oserait l’accepter et qu’il resterait au pouvoir, fortifié par cette épreuve. L’archiduc palatin trompa ce calcul : il accepta résolûment la démission et écrivit à l’assemblée qu’il était disposé, pour son compte, à prendre la direction suprême des affaires. Le parti radical ne l’avait point entendu ainsi : ses partisans excitèrent un violent tumulte à la chambre ; ils traitèrent la communication d’inconstitutionnelle, parce qu’elle ne portait pas la signature de tous les ministres responsables. Les anciens ministres, à l’exception de Bathiany, entourèrent Kossuth, en le pressant de retirer sa démission. Une députation fut chargée d’aller exprimer au palatin le vœu que l’ancien ministère rentrât au pouvoir. Le palatin ne cacha point le juste ressentiment qu’il éprouvait de la conduite des états à son égard. C’était la première démarche éclatante qu’il faisait depuis le commencement de la crise ; il était resté au milieu de la tempête qui frappait et sa famille et le pays, dans la pensée qu’en ménageant sa popularité, en ne la compromettant pas pour arrêter trop tôt ce torrent qui emportait tout, un jour viendrait où il se trouverait l’homme nécessaire, opérerait une transaction entre la Hongrie et l’Autriche, et servirait de garantie à tous les partis.

J’ai déjà dit que tel avait été le rôle de son père : les habitudes de déférence et de pieux respect que les archiducs gardent toujours vis-à-vis du chef de la famille, même quand à la dignité impériale ne s’attache aucune valeur personnelle, ne permettaient pas au jeune palatin