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rien d’équivoque dans cette sommation. L’empereur se contenta de répondre que « le mauvais état de sa santé l’empêcherait de se rendre à Pesth ; quant au projet de loi sur le papier-monnaie, dont on demandait la sanction, il l’examinerait librement, mais il inclinait à le repousser ; enfin, sur la question de Croatie, il avait déjà adressé un manifeste au ban pour amener une conciliation amiable. »

La députation, composée de cent soixante membres, écouta en silence la réponse de l’empereur, et se retira sans faire entendre aucun des cris de vivat qui ne manquent jamais aux réceptions des députés hongrois. Les ministres Deak et Bathiany, qui se trouvaient à Vienne, partirent avec eux. « Jamais, dit un des députés en traversant les salles de Schoenbrünn, jamais plus tristes adieux ne furent faits à un grand peuple par son souverain. » Les députés arrachèrent de leur bonnet la plume aux couleurs réunies de l’Autriche et de la Hongrie, mirent à sa place une aigrette rouge et arborèrent un drapeau de la même couleur sur le bateau à vapeur qui les reconduisait à Pesth. Ils revinrent rendre compte à la diète de l’accueil froid et résolu et des refus qu’ils avaient trouvés à Vienne (12 septembre).

L’irritation fut extrême à Pesth. La fraction révolutionnaire du gouvernement n’avait pas encore osé proclamer ouvertement la séparation ; elle voulait retenir le nom du roi pour imposer aux populations des décisions prises sans son concours, souvent contre ses intérêts et sa volonté les plus manifestes. Ce semblant de respect, ces derniers et mensongers hommages légitimaient aux yeux des peuples les entreprises de la diète ; on conservait ainsi l’appui de l’ancienne majorité. Ce n’était qu’à ce prix que celle-ci consentait à ne point se séparer de Kossuth, cherchant à s’aveugler encore et ne voulant pas s’avouer qu’on marchait à une révolte, plus inévitable chaque jour, contre le roi constitutionnel.

Le retour des députés ne permettait plus de prolonger la fiction à l’ombre de laquelle on avait vécu jusque-là. Ils avaient été mal accueillis par le peuple de Vienne : à Presbourg, où la population restait mécontente d’avoir perdu les avantages que lui procurait la tenue des diètes, des coups de fusil avaient été tirés sur le pavillon rouge arboré par le bateau à vapeur. Il fallait déchirer le voile, rentrer dans la légalité, renoncer aux mesures révolutionnaires qui conduisaient nécessairement à la rupture, ou proclamer hautement la séparation et la déchéance. L’ancienne opposition constitutionnelle, démentant les principes et les sentimens qui avaient fait sa force dans le pays, manquerait-elle à la foi jurée et se prononcerait-elle pour Kossuth et le parti radical contre le roi constitutionnel ? La discussion fut vive et orageuse. Bathiany et Deak voulaient que l’assemblée recourût encore à la médiation