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cours, se rejette de nouveau vers l’orient. Son étendue est de neuf cent cinquante milles carrés ; sa population, en y comprenant celle des régimens-frontières croates, est d’environ huit cent mille ames. Sous le nom de royaume de Slavonie et de Croatie, elle a toujours été régie par des lois particulières. Les conditions de son union avec la Hongrie n’ont jamais attaqué son existence indépendante ; on peut dire qu’elle était vis-à-vis du gouvernement établi à Pesth dans la position où la Hongrie était vis-à-vis du gouvernement autrichien (regnum in regno) ; elle avait des états et une diète séparée, siégeant dans sa capitale d’Agram. Cette diète nommait dans son sein trois députés, trois plénipotentiaires, si l’on veut, qui allaient la représenter à la diète hongroise ; l’un siégeait à la table des magnats, les deux autres dans l’assemblée des états. L’administration du royaume est déléguée par les états, avec l’approbation de l’empereur, à un chef qui prend le nom de ban de Croatie, et qui tient, comme tel, la troisième grande charge de la couronne de Hongrie, après le palatin et le juge suprême.

Les Croates sont une famille de la race slave ; à quelque variété près, la langue établit entre toutes ces familles, sorties d’une souche commune, une unité et une solidarité incontestables. En voyant les efforts et les succès des Magyars pour reconstituer leur race particulière et faire prévaloir leur langue, ils s’attachaient d’autant plus à leur nationalité et à leur langue : de là une irritation et une malveillance réciproques. Ils accusaient les Hongrois d’ambition, de conspiration contre la souveraineté royale ; les Hongrois, à leur tour, accusaient les Croates de rêver, avec quelques savans et quelques professeurs dispersés dans les pays slaves du nord et du midi, un empire gigantesque qui, réunissant sous un seul maître toutes les populations d’origine slave, devait préparer à l’empereur de Russie une domination pareille à celle de Gengiskan. C’est ce que les publicistes allemands ont dénoncé depuis long-temps sous le nom de conspiration du panslavisme. Les lecteurs de cette Revue n’ont pas oublié les recherches intéressantes qui ont fait connaître en France les noms et les ouvrages de MM. Kollar et Gay, ces grands prédicateurs du panslavisme. Nous n’insisterons donc pas. Ce qu’il faut constater, c’est qu’il existait là, au moment où la révolution du 16 mars éclatait en Hongrie, des difficultés déjà grandes et un foyer d’incendie. Les Croates s’étaient montrés très résolus : ils n’avaient point voulu renoncer à l’usage de leur langue ; ils abandonnaient volontiers le latin au profit de leur langue nationale, mais non au profit de la langue magyare. C’était aussi une question d’honneur : tant que la querelle se passa, comme je l’ai dit, entre frères à peu près égaux en droits, la désunion n’arriva point à la rupture. Les Croates ne se décidaient point à se mettre en rébellion ouverte contre les lois promulguées au nom du souverain commun.