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avait jeté sur les dernières diètes, par la magie des noms, puissante encore en Hongrie, enfin par l’étendue de ses richesses, dont nulle aristocratie n’a jamais fait un plus patriotique usage[1].

La diète se sépara après ces décrets, et le ministère hongrois resta livré à lui-même. Il tenait dans ses mains ce que l’opposition la plus avancée avait à peine jamais pu rêver ; la séparation de la Hongrie avec l’Autriche était complète de fait. Ce lien fédéral, qui pesait tant aux vieux patriotes hongrois, allait être enfin rompu. Rien ne gênait plus la liberté de leurs mouvemens, leur politique deviendrait libre et indépendante, leur armée ne verserait plus son sang pour des causes étrangères ; de l’ancienne union, on ne gardait, à vrai dire, que le nom du souverain.

Toutefois ce n’était pas seulement l’empire d’Autriche qui, jusqu’à ces derniers temps, avait été un vaste état fédératif ; les états qui composaient cette unité politique étaient eux-mêmes, à l’image de l’empire, une agglomération de pays et de nationalités distinctes. Parmi ces diverses nations, les Hongrois ou Magyars, comme on a affecté de les nommer dans ces derniers temps, en rejetant le nom commun de Hongrois, avaient, au fond, profité seuls des victoires constitutionnelles remportées sur l’Autriche. Ici il faut nécessairement revenir quelque peu sur le passé : je le ferai brièvement. Dès l’origine, la question révolutionnaire à Pesth se trouva compliquée de cette question des nationalités ; les difficultés étaient déjà anciennes, invétérées, mais l’émancipation complète de la Hongrie vis-à-vis de l’Autriche les mettait toutes en relief et les aggravait. Déjà les Slaves, les Valaques, les Allemands, se plaignaient avec amertume de la prépotence des Magyars, alors que, comme eux, ils reconnaissaient cependant un maître commun ; c’était un frère aîné, disaient-ils, bien dur pour ses frères cadets ; qu’allait devenir la famille quand, mise hors de la tutelle du père commun, elle devrait vivre sous la loi de ce frère ? L’affranchissement des Magyars devenait la servitude des autres peuples, jusque-là leurs égaux. C’est de ce sentiment qu’est née l’insurrection slave et ce qu’on a appelé la question croate. Je me hâte de dire qu’en se développant, elle a changé d’allure et de but ; elle devrait aussi changer de nom, car la querelle des Croates avec les Magyars est devenue aujourd’hui la guerre entre l’Autriche et la Hongrie, et le ban de Croatie, Jellachich, nommé lieutenant-général de l’empereur, commande à ce titre les troupes autrichiennes

  1. On trouve chaque année dans les décrets de la diète hongroise des dons patriotiques à côté desquels les souscriptions françaises ou même anglaises paraissent assez mesquines. En 1827, par exemple, pour l’académie nationale destinée à la propagation de la langue hongroise, voici quelques noms et quelques chiffres : le comte Széchény, 160,000 francs ; le comte Karoly, 125,000 francs ; le prince Bathiany, 150,000 francs ; les deux Esterhazy, 80,000 francs.