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s’inquiéter sur sa destinée. Il faut donc suspendre les études du passé et dire tout de suite par quelle série de faits la crise est arrivée au point où nous la voyons aujourd’hui.


I

Il y a six mois, au moment où éclatait à Vienne la première révolution du mois de mars, la diète de Presbourg travaillait avec ardeur aux réformes depuis long-temps réclamées par le parti libéral et acceptées enfin par l’Autriche. Jamais les espérances des patriotes hongrois, qui voulaient sincèrement établir une transaction libérale entre les nouveaux besoins de la Hongrie et les prétentions du gouvernement impérial, n’avaient été si proches de recevoir une heureuse solution ; on cherchait de bonne foi, sous la médiation et la garantie du jeune palatin, à terminer dans un sens libéral toutes les questions soulevées dans les derniers temps. Les principes étaient admis, on cherchait des combinaisons qui, tout en respectant le droit de propriété, pussent assurer à la Hongrie les bienfaits de l’affranchissement universel, la liberté des terres et le mouvement rapide de l’industrie et du commerce. Le rachat des dîmes, l’abolition des corvées, l’impôt universel acquitté sans distinction de caste, le droit de suffrage pour les citoyens des villes libres, tel était le programme pacifique déjà accompli sur bien des points. La confiance que tous les partis mettaient dans le jeune archiduc encourageait le gouvernement impérial à des concessions ; on avait placé auprès du prince un jeune et habile conseiller, dont la dextérité devait ramener bien des esprits : c’était le comte George Appony, élevé, à moins de quarante ans, au poste suprême de chancelier de Hongrie. C’est par ce fonctionnaire mi-autrichien et mi-hongrois, si je puis dire, que s’exerçait, dans l’ancienne organisation, toute l’action gouvernementale ; il représentait la Hongrie vis-à-vis de l’Autriche, et réciproquement. Le comte Appony s’était préparé par de fortes études à ce rôle difficile ; sa jeunesse l’avait aidé à comprendre ce qu’il fallait accorder au mouvement irrésistible des nouvelles idées. La trempe de son esprit, éminemment gouvernemental, était en même temps une garantie contre les séductions de la popularité ou les envahissemens de la diète ; il savait mieux que les hommes de son âge quelle part il faut faire au pouvoir vis-à-vis de la liberté. Son âge cependant et son nom le rendaient populaire parmi les jeunes magnats de la chambre haute. Il était neveu du comte Appony, dont Paris a pu, pendant vingt ans, apprécier l’esprit loyal et les nobles manières. Je n’ai pu me refuser au désir de rendre témoignage en passant à un mérite si jeune et si éclatant, perdu passagèrement pour la patrie ! — La révolution de Vienne éclata sur toutes ces espérances publiques et particulières ; les radicaux