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Chaque jour, je trouve que je n’ai rien à y changer. Mon saint Joseph est de l’âge que vous trouvez indispensable… Ce sujet me fera connaître mes forces et si je peux changer mon genre de peinture. Si un artiste peut avoir, dans un genre qui ne l’intéresse que médiocrement, une certaine réputation, il me semble que, quand il se sent ému par des sujets plus beaux à ses yeux, il doit bien espérer de lui-même ; car, pour faire une chose qui plaise aux autres, il faut (avec du talent sans doute) travailler avec plaisir. Voilà pourquoi, presque toujours, les tableaux commencés ne réussissent pas… Je vous assure que si j’ai pris le genre qui m’a valu une réputation, ce n’est pas par goût. J’ai toujours trouvé la peinture historique plus en rapport avec ce que j’aime véritablement. Souvent, je l’avoue, les goûts peuvent tromper sur les moyens. C’est ce qui me fera toujours éviter soigneusement de me livrer à mes penchans avec trop peu de raison. Vous voyez que jusqu’ici j’ai été prudent[1]. »

La défiance de Robert n’était que trop motivée, ce nous semble, et son goût pour la peinture historique lui cachait le même écueil où il était venu se briser pour la Corinne, à son début dans la carrière de la grande peinture. Le tableau du Repos en Égypte, du moins en l’état inachevé où il est resté, n’est pas fait, malgré la noble vigueur du travail, pour prouver que Léopold pût s’élever aux régions suprêmes de l’invention et de l’idéal. Il travaillait à cette esquisse, quand Ingres, passant par Venise, la vit au palais Pisani. « Il m’a fait des éloges, dit tout bas Robert à M. Marcotte ; mais, entre nous, je crois pouvoir dire que tout ce que je fais n’a pas à ses yeux le cachet qu’il désire et qu’il prêche. Il y trouve peut-être trop de nature, c’est-à-dire un effet qui rend trop naturellement les choses. Je ne lui en veux pas le moins du monde ; il ne pourrait être autrement et demeurer sincère, et il l’est… lui qui a une science si profonde, et moi qui ne me guide que d’après ce que la nature m’inspire ! lui qui a tant travaillé pour rechercher dans ce qui a été fait le caractère et le type de la peinture historique ! Tout est connu par lui, tout a été consulté, et moi qui suis d’une ignorance si grande que je m’en étonne[2] ! »

De compte fait, c’était la quatrième tentative de Léopold Robert dans le domaine de la peinture idéale et historique, à laquelle tous les travaux de sa vie l’avaient si peu préparé. Déjà, en 1829, malgré l’insuccès de la Corinne, Léopold avait eu la velléité de traiter un sujet d’église, dont il attendait la commande du gouvernement. D’autres préoccupations le détournèrent de cette pensée. « Si l’on me jugeait digne, disait-il alors, d’exécuter cet ouvrage et d’avoir part aussi aux avantages des artistes français, je me regarderais comme très heureux,

  1. Lettres à M. Marcotte. Venise, 10 février, 6 avril et 17 mai 1834.
  2. Lettres à M. Marcotte, 22 décembre 1834 et 18 janvier 1835.