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cet été. Il me prend des envies terribles de voir du neuf. Il me semble que la peinture vieillit[1]. »

« Venise plaît, ou plutôt elle intéresse tous les étrangers et surtout les amis des arts et les artistes ; mais, quand on s’y arrête long-temps, on y trouve tant de paix et de tranquillité, que les caractères sérieux et portés à la mélancolie s’y sentent bien plus enchaînés que dans les grandes villes où l’on peut être si rarement seul avec soi-même[2]… »

« Venise est bien triste par la pluie. Il me semble que le ciel y a une teinte grise que je n’ai pas vue ailleurs ; le ton des lagunes étant aussi gris, tout est d’une monotonie inexprimable… La Salute, le Rialto sont sous le voile…

« Mais fait-il beau, je jouis singulièrement par l’effet du soleil couchant, dans mes promenades. L’autre soir, la place Saint-Marc, qui est un bijou, m’a fait un si grand effet, que j’eus envie de commencer un tableau de la façade admirable de l’église. On n’a pas d’idée de l’originalité de l’architecture et du goût fin et élégant de tous les détails. Ils sont, de plus, exécutés avec un soin, une recherche si étonnante, que l’on pourrait passer des heures à les admirer. Pour vous en donner une idée, il y a une immense quantité de colonnes dont chacune a un chapiteau différent, et tous ces chapiteaux sont charmans. Ajoutez à cela tous les fonds en or et, au milieu, des sujets en mosaïque très bien traités, avec une dizaine de petites coupoles tout-à-fait orientales. C’est délicieux, surtout à la lumière du soleil si doux, si harmonieux de la fin des journées d’automne. Chaque fois que je sors, l’aspect de la nature et l’air si particulier que l’on a ici m’empêchent de m’étonner que tous les peintres vénitiens aient été coloristes. Il me semble qu’il est impossible, pour ceux qui aiment le vrai, de ne pas avoir dans leur peinture une qualité que l’on peut trouver si facilement[3]. »

Ailleurs, il dit encore :

« Je ne connais pas d’endroit habité aussi divertissant à parcourir que Venise. A chaque pas, on a quelque chose de nouveau à voir et une variété on ne peut plus pittoresque. Il est vrai que généralement on trouve l’aspect de la misère ou du moins l’ombre d’une ancienne prospérité ; mais pour nous, peintres, cet aspect parle davantage à l’imagination. Le positif a quelque chose, si je puis dire, de trop matériel à nos yeux. Voilà pourquoi les grandes villes modernes qui brillent de tout leur lustre, tout en nous offrant beaucoup de choses à admirer, nous laissent froids pour notre art et ne nous donnent aucune inspiration. J’ai parcouru un quartier que je ne connaissais pas, celui des Juifs. Vous savez qu’en presque toutes les villes d’Italie, on les a

  1. Lettre à V. Schnetz, 30 mars 1832.
  2. Lettre au sculpteur Ranch, de Berlin. Venise, 28 octobre 1832.
  3. Lettres à V. Schnetz, 30 mars, et à M. Marcotte, 14 décembre 1832.