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par des masques, mais par une mère qui va prendre son enfant dans ses bras, et par une jeune fille qui l’engage à se retirer d’une marche d’individus déguisés jouant de différens instrumens. A droite, est un groupe de jeunes filles avec des barques et des pêcheurs arrangeant leurs filets. A gauche, au lieu de mes Turcs, sont d’autres pêcheurs qui reviennent de leur travail avec tous les accessoires si pittoresques dont ils se servent. Je suis certain maintenant de faire un tableau vrai et original, et par conséquent intéressant. Enfin je m’envisage comme sauvé ! Je suis aussi enchanté d’avoir changé le groupe de mes masques. Celui que j’avais projeté aurait pu suggérer un rapprochement avec ce que les cérémonies religieuses offrent quelquefois, et je respecte trop la religion pour laisser soupçonner que j’eusse voulu donner du ridicule à ses pratiques[1]. »

Son esquisse était fort avancée qu’il ne trouvait pas encore en ses figures « cet accord de sentimens si essentiel dans une composition. Il n’y avait rien pour la pensée, rien qui fît réfléchir[2]. » Embrouillé dans ce pêle-mêle de pêcheurs et de masques, il se reprochait d’avoir « choisi pour sujet d’un tableau important des scènes qui ne touchent point l’ame et que la plupart trouvent ridicules. » Cependant la noblesse peut être sentie même en un sujet trivial. Les bacchanales antiques ne sont-elles pas des œuvres admirables ? se disait-il, et ne voit-on pas les plus beaux sujets rendus avec trivialité, mais relevés à la hauteur historique par la noblesse de la pensée ? L’exécution est pour beaucoup dans la réussite en fait d’art. Le premier jet frappe et attire ; la justesse de l’expression, la sévérité et la justesse de la pose, un dessin serré et gracieux, achèvent « la séduction, et c’est l’ensemble de ces qualités qui produit le goût des arts et fait les amateurs constans. »

Peu satisfait de ses essais, il arrêta, comme il dit, un nouvel ultimatum, et la scène à laquelle il se fixa fut un Départ pour la pêche, d’où les masques ne furent point encore bannis, mais où ils ne devinrent plus qu’accessoires. Il gratta impitoyablement toutes les figures, cependant fort expressives, qu’il avait peintes au centre de son tableau, et y substitua un groupe de pêcheurs arrangeant des flets. Derrière le personnage principal se trouvait une barque renversée sur laquelle étaient montés deux enfans regardant des masques relégués au second plan. Autour des masques se pressait une population dont la gaieté contrastait avec le sérieux des acteurs principaux de la scène. Le fond représentait toujours, avec les murazzi et quelques marins de Palestrina, cette ville de Chioggia, jadis résidence des doges, aujourd’hui déchue. A gauche devait être une grande barque prête à partir.

  1. Lettre à M. Marcotte. Venise, 28 avril 1832.
  2. Ibid., du 20 mai 1832.