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Le Tintoretto est inconcevable par l’immensité des grandes machines qu’il a faites ; mais, malgré tout son génie, il ne me va pas à l’ame, du moins il ne me charme pas comme le Titien. Je lui préfère même Paul Véronèse.

« J’ai passé ensuite par Ferrare, qui est d’une tristesse à affliger même les passans. Les Ferrarais regrettent beaucoup le gouvernement précédent. Bologne, ville plus industrieuse, se soutient malgré l’immense quantité de pauvres qui assaillent les passans dans les rues. J’ai vu avec intérêt les villes de la Romagne, que je ne connaissais pas, et j’ai passé par Furlo, site trop négligé, où il me semble que les paysagistes devraient aller, surtout s’ils veulent des inspirations grandes et sévères. C’est après plus de cinq semaines de voyage que je suis rentré à Rome, le 17 novembre, et que j’ai eu le grand plaisir d’embrasser mon cher frère. »


« A M. Navez, 4 mars 1829.

« … Venise m’a enchanté. Entre nous, je dois cependant te dire que j’y trouve trop de peintures, et que beaucoup de ces grandes machines ne me disent rien du tout. Le Titien me semble toujours le premier de l’école. Au moins il y a toujours un grand caractère et noble… Mais le Tintoret a beaucoup trop fait, et je vois bien du gâchis dans ces grands murs qui ont dû être couverts si vite et sans réflexion. Aussi y a-t-il beaucoup de remplissage. Paul Véronèse me plaît davantage ; sa couleur est plus fine et plus transparente. Ce qui m’a enchanté dans Venise, c’est l’originalité de cette ville si remarquable. Je m’y suis trouvé par ces beaux jours d’automne qui ont un soleil si doré. Cette belle mer bleue, et cependant si harmonieuse, ces palais riches et si nombreux et le grand nombre d’églises offrent un coup d’œil tout-à-fait particulier avec les canaux couverts de gondoles. J’aime ce mouvement doux, je dirai mélancolique : il va bien avec le repos et le calme des passions qui échauffent l’esprit. Il n’y a qu’une seule chose que je n’aime pas, c’est qu’on ne puisse pas voir un visage de femme, et qu’elles se cachent toutes avec beaucoup de soin. Comme toi, un beau caractère de tête, une belle expression m’émeut, me séduit. Je trouve aussi qu’à Venise le peuple tient beaucoup plus du nord qu’à Naples et à Rome. Je n’ai pas vu encore un marin avec une de ces têtes si communes à Naples.

« Bologne ne me plaît pas du tout. La peinture des Carraches, du Guide, du Guerchin, et je dirai presque du Dominiquin, ne me va pas au cœur. Tous ces tableaux sont noirs et mal éclairés ; je veux parler de ceux qui sont dans les églises. Quant à ceux du musée, je ne me rappelle avec un véritable plaisir que la Sainte Cécile de Raphaël. Quelle peinture ! »