Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 24.djvu/184

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

liette a déposée un matin sur ma tête innocente, et cela, je te le répète, spontanément, sans qu’aucune de mes actions, ou secrètes ou patentes, ait pu servir de prétexte à des représailles. Comprends-tu, toi ?

LE DOCTEUR.

Peut-être.

M. DE MARSAN.

La voici. Chut. Tu jugeras par toi-même. Je te ferai signe.

(Le docteur s’approche du bureau et parait très occupé à écrire.)
JULIETTE, entrouvrant la porte.

Ah ! mon Dieu ! vous avez du monde !

LE DOCTEUR, se soulevant et saluant.

Non, madame, c’est moi. Pardon, j’avais deux mots à écrire ; je suis monté, sans façon. De Marsan m’a prêté son bureau. Vous permettez ?

JULIETTE.

Comment donc ! Mais que vous êtes rare, dites-moi, docteur ; vous me faites reflet d’une vision.

LE DOCTEUR.

Veuillez m’excuser, madame ; mais, par état, je me dois d’abord aux malheureux.

JULIETTE, amèrement.

Ah ! aux malheureux… et nous, nous avons cinquante mille livres de rente ; c’est juste.

M. DE MARSAN.

Hem ! hem !

LE DOCTEUR.

Hem ! Madame, j’ai lu, il est vrai, dans les anciens, que la richesse ne faisait pas le bonheur, mais nous avons changé cela. Permettez.

(Il se rassied et griffonne assidûment.)
M. DE MARSAN.

Vous mettez vos gants, ma chère, et vous voilà en chapeau… Est-ce que vous sortez si matin ?

JULIETTE.

Il se peut. — Est-ce que vous êtes somnambule, vous, monsieur, entre autres privilèges gracieux ?

M. DE MARSAN.

Somnambule ! Et pourquoi diantre ?

JULIETTE.

Parce que diantre ! j’ai entendu toute la nuit un bruit de pas pesans dans votre chambre. On aurait dit un manège.

M. DE MARSAN.

Ah ! oui. C’est que je ne pouvais dormir, et je me suis promené un peu de long en large.

JULIETTE.

Un peu ! pendant trois heures. Vous ne pouviez dormir, et vous avez jugé équitable de m’empêcher de dormir, moi, par la même occasion. Au reste, c’est votre droit, et l’on n’est pas pour se gêner, après dix ans de ménage.