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plus singulières aventures ? Le suffrage universel a été placé sous la protection de la loi ; de par la loi, nous le respectons. C’est là tout ce que nous pouvons dire de mieux en son honneur après la triste expérience qui vient encore de s’accomplir. Jamais il n’aura été si victorieusement démontré que le suffrage politique est, de sa nature, une fonction et non point un droit. « Nous avons changé tout cela ! » s’écrient les médecins révolutionnaires, absolument comme l’empirique de la comédie : baissons donc la tête sous le joug de cette infaillible doctrine, et pourtant le cœur est à gauche !

Les inventeurs, les promoteurs de cette théorie, devenue maintenant une réalité, sont obligés d’ailleurs de redoubler de foi, car elle tourne trop rudement contre eux pour ne pas décourager une confiance qui ne serait qu’ordinaire. M. de Genoude est plus malheureux dans ses pérégrinations électorales qu’il ne l’avait été sous la charte du privilège. Le National, qui attribuait bénévolement au suffrage universel une si merveilleuse efficace, en est réduit désormais à faire bonne mine à mauvais jeu. Le spécifique sur lequel il comptait pour fortifier et accroître son parti le diminue à mesure qu’il en use. Ce parti, qui représente le plus fidèlement, trop fidèlement à vrai dire, le gouvernement actuel de la France, ce parti presque officiel n’aborde pas une fois le scrutin sans laisser sur le carreau ses plus chers amis assistés par des minorités désastreuses. Dans notre ame et conscience, nous aimerions mieux qu’il en fût autrement. Après l’inévitable effervescence d’un triomphe qui ne l’avait pas trouvé prêt, ce parti se range à la fin, et il ne serait pas impossible qu’il arrivât à quelque chose du jour où il apprendrait la modestie. Nous serions fâchés que le pays en eût déjà fait son deuil, et, nous le confessons avec franchise, mieux vaudrait que la faveur de l’opinion ne se portât pas trop exclusivement sur les hommes anciens, si, en adoptant les très jeunes notabilités de notre nouveau régime, elle était sûre de neutraliser ces candidatures excentriques qui s’attachent comme une végétation malfaisante au tronc mal affermi de l’arbre républicain.

Par malheur, cette combinaison délicate est justement le problème et la difficulté. L’opinion, suivant les lieux, va tout aux gens extrêmes qui s’intitulent les soldats de l’avenir, ou tout aux gens éprouvés dont les titres sont connus, parce qu’ils ont honorablement servi dans le passé. Les intermédiaires, les modérés d’un certain modérantisme un peu bâtard, ou ne paraissent pas ou succombent. Vaucluse et Montpellier peuplent à l’envi la montagne. La Mayenne arbore les couleurs très pacifiques du plus bourgeois de tous les journaux ; elle nous renvoie M. Chambolle, que nous sommes heureux de compter pour une force de plus dans ce faisceau d’honnêtes et solides caractères qui représentent nos chambres d’autrefois au sein de la nouvelle assemblée. Le Rhône et la Haute-Loire, assiégés par les prétentions de la démagogie, ont enlevé la nomination de M. Rivet et du général Rulhières. Le général est ainsi dédommagé, par le mandat de ses concitoyens, du coup qui lui avait prématurément enlevé son épée. M. Rivet a tenu long-temps une place importante dans le conseil d’état et dans les parlemens qui se sont succédé après la révolution de juillet. C’est un esprit ferme et décidé. La Gironde enfin a remplacé M. Thiers par M. Molé. Le rapprochement n’est ni sans intention ni sans conséquence. Les vieux dissentimens politiques sont profondément oubliés en présence des périls qui menacent l’ordre social. Les hommes d’état de toutes les dates n’ont plus qu’une même tâche ; les