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après s’être présentés le samedi matin à Charles-Albert et avoir protesté devant lui contre la capitulation. L’armée piémontaise, les bataillons lombards incorporés dans cette armée, les régimens lombards commandés par des officiers piémontais, tous les généraux sous les ordres de Charles-Albert nous avaient quittés en même temps ; l’artillerie piémontaise et la nôtre, toutes les munitions de guerre accumulées dans la ville, et, en dernier lieu, les quatre millions de livres provenant de l’argenterie offerte par les particuliers et les églises, tout avait été enlevé. Le peuple allait de maison en maison cherchant des chefs, de palais en palais cherchant des munitions ; il se refusait à comprendre l’étendue de son malheur, lorsqu’un parlementaire de l’armée autrichienne vint annoncer que l’entrée du général d’Aspre et de ses troupes aurait lieu à midi, que tous les hommes de dix-huit à quarante ans seraient immédiatement enrôlés dans les régimens croates et envoyés au-delà des monts, et que ceux auxquels l’exil paraîtrait préférable auraient jusqu’à huit heures du soir pour quitter la ville.

Cette alternative fut acceptée avec joie par la malheureuse population. Plus des deux tiers des habitans, hommes et femmes, jeunes gens et vieillards, riches et pauvres, tous se dirigèrent en masse vers la porte la plus éloignée de celle qui devait s’ouvrir pour les Autrichiens. On vit alors de longues colonnes d’émigrans de tout âge, de tout sexe et de toute condition, portant tous ou quelques effets, ou leurs enfans, ou quelque malade qu’on eût craint d’abandonner à la merci du vainqueur. L’arrivée de chaque colonne était annoncée quelques momens à l’avance par des cris et des gémissemens. Quelques chevaux, quelques charrettes suivaient ces bandes fugitives, prêts à recevoir les plus faibles et les plus souffrans des proscrits. Lorsque cette multitude désolée eut dépassé l’enceinte de la ville, lorsqu’elle s’en fut éloignée de quelques centaines de pas, elle tourna une dernière fois, d’un commun accord, ses regards vers la cité déserte comme vers une autre Jérusalem. Le ciel était rouge au-dessus de Milan, et de noires colonnes de fumée s’élevaient jusqu’aux nuages. Qu’était-ce que ce feu ? Était-ce l’incendie des faubourgs qui durait encore ? était-ce l’Autriche qui commençait ses vengeances ? ou bien quelques citoyens désespérés avaient-ils juré de ne livrer à l’ennemi que des dépouilles fumantes ? De nombreux palais à demi consumés par les flammes, l’hôtel national du génie militaire, celui des douanes et l’hôpital militaire de Saint-Ambroise portent dans leurs ruines le témoignage de ce grand désastre ; mais l’explication du fait, personne n’a pu la donner, et rien encore n’est venu jeter sur cette énigme la moindre lumière.

Ainsi les Autrichiens étaient une seconde fois les maîtres de Milan ; ils rentraient en vainqueurs dans cette ville d’où ils s’étaient enfuis à la hâte quatre mois auparavant. Vingt-cinq mille soldats s’étaient emparés