Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 24.djvu/161

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

exemple, fixer un maximum pour le prix des denrées de première nécessité. Ces précautions avant été négligées, le prix de ces denrées s’éleva, dès les premiers jours du siège, à un taux exorbitant. Rien ne manquait pourtant encore ; mais l’augmentation subite de la population, les ravages commis dans quelques provinces par les Autrichiens, l’accumulation des vivres dans les maisons particulières, l’encombrement des routes et l’émigration des paysans avaient causé un dérangement momentané dans l’équilibre des besoins et des ressources. Il eût été du devoir du comité de veiller à ce que ce dérangement ne s’annonçât pas pour la ville comme une véritable famine. C’est ce qu’il ne fit pas, et cette négligence ajouta de graves embarras à ceux qui pesaient déjà sur nous.

Le 4 août, une revue de la garde nationale était commandée pour six heures du matin. Le roi, invité à y paraître, avait refusé sous le prétexte assez frivole, à mon avis, d’une promesse qu’il s’était faite à lui-même de ne mettre le pied à Milan qu’après avoir repoussé les Autrichiens au-delà des Alpes ; le général Olivieri le remplaça. J’assistai à cette revue, et les tristes pressentimens qui m’agitaient la veille ne tinrent pas devant le spectacle qu’elle m’offrit ; ceux qui connaissent la place d’armes de Milan pourront seuls s’en faire une idée. Lorsque je débouchai des sombres allées de la Piazza-Castello, trois des côtés de l’immense carré que forme la place d’armes étaient occupés par la garde nationale milanaise et par les troupes piémontaises demeurées en dépôt ou en garnison à Milan. Les deux tiers de ces troupes étaient composés de notre garde nationale ; les soldats piémontais formaient l’autre tiers. Trente-trois drapeaux indiquaient les trente-trois paroisses de Milan. Les paysans, accourus des environs, étaient réunis en bataillons, et les gardes nationales des villes voisines étaient groupées par communes. Trente-huit pièces d’artillerie, suivies de leurs caissons, nous rassuraient sur les ressources dont pouvait disposer la ville, lors même que l’appui du Piémont lui eût été retiré. Tous ceux qui assistèrent à cette revue en revinrent pleins de confiance. Il n’y avait pas moins ce jour-là de trente mille gardes nationaux sous les armes, et plusieurs capitaines m’assurèrent qu’un tiers à peu près de leurs compagnies n’avait pu se rendre à cette solennité. Milan avait donc pour le défendre près de cinquante mille hommes de garde nationale, et, à côté d’eux, toute une population, hommes, femmes et enfans, prête à payer sa part de la dette à la patrie.

Pendant que les troupes défilaient en silence, le pas et le regard assurés, le canon commençait à gronder, mais personne ne parut y faire attention. De huit heures du matin à midi, le bruit de l’artillerie ne cessa de se rapprocher, et les bombes entrèrent enfin dans la ville.

Comment expliquer cette surprise ? C’est ce que je n’ai jamais pu.