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rendre à Lodi, je passai dans cette ville, était, je le répète, calme et digne. Dans la campagne, au contraire, tous les symptômes du désespoir et de la terreur me frappèrent douloureusement. Dans un rayon de trois ou quatre lieues, à partir de Milan et du côté méridional, tous les villages étaient déserts, et la grande route était encombrée de familles entières, qui traînaient après elles des provisions pour quelques jours et les objets auxquels elles tenaient le plus. Les vieillards et les enfans suivaient de leur mieux ; les infirmes étaient portés par les jeunes et les forts. L’alarme se répandait de temps à autre dans cette foule éplorée. Le fracas d’un chariot roulant dans le lointain, le pas de quelques troupeaux, le moindre bruit suspect devenait un signe d’alarme. On criait aussitôt de toutes parts : Voici les Autrichiens ! et l’ordre gardé par ces longues colonnes de fugitifs était rompu ; des cris et des sanglots s’échappaient de toutes les poitrines ; les plus timides s’enfuyaient au hasard à travers champs ; les plus braves ou les plus résignés s’asseyaient sur le bord de la route, et, jugeant tout effort inutile, ils se recommandaient à Dieu. Péniblement émue de ce spectacle et ne sachant quel conseil donner aux malheureux paysans qui se pressaient autour de moi, je fis du moins tous mes efforts pour leur rendre un peu de confiance. Je leur appris le but de mon voyage, et j’obtins d’un grand nombre de ces familles fugitives qu’elles consentiraient à attendre mon retour avant de continuer leur marche.

Je trouvai la ville de Lodi remplie de troupes. Les soldats paraissaient fatigués et souffrans, mais non abattus. Ils ne parlaient que de l’avenir et nullement du passé, ce qui est toujours un signe infaillible d’énergie et de vitalité. Leurs discours roulaient sur la guerre, sur la prochaine déroute des Autrichiens, sur la protection que Dieu ne pouvait leur refuser. J’admirais l’expression martiale de ces visages amaigris ; j’écoutais avec émotion les chansons militaires qui sortaient de ces lèvres blêmes, de ces poitrines décharnées, comme à l’ouverture d’une campagne. Quelque chose me disait que l’Italie ne pouvait pas périr, tant qu’elle s’appuierait sur de pareils hommes.

Charles-Albert se tenant toujours à Codogno, j’avais demandé à voir l’un des aides-de-camp, soit du roi, soit des princes. L’un de ces officiers, dont je crois devoir taire le nom, vint bientôt me trouver. Je lui parlai de l’inquiétude mortelle qui régnait dans nos campagnes et de l’incertitude qui pesait sur la population milanaise relativement aux intentions du roi. Cet officier me fit un tableau touchant des souffrances de l’armée, qui, dans certains jours, avait complètement manqué de vivres. Il parut douter du désir que j’attribuais aux Milanais de défendre leur ville ; mais, lorsque je l’interrogeai formellement sur les intentions du roi, il se renferma tout à coup dans une réserve étrange, m’avouant qu’il ignorait jusqu’à quel point je pouvais être informée sans inconvénient