Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 24.djvu/155

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rendre dans la ville, car il importait, selon moi, que ceux des nobles et des riches dont le dévouement à la cause italienne était connu protestassent, par leur présence à Milan, contre l’exemple de l’émigration donné par quelques grandes familles. Ayant appris l’arrivée des Piémontais à Lodi, je résolus de m’y rendre aussitôt, pour recueillir des renseignemens précis sur les derniers événemens ; mais je voulus, avant tout, me rendre compte de l’état des esprits tant à Milan que dans la campagne.

Le jour où je partis pour Lodi (le 2 août), Milan était calme. Charles-Albert, disait-on, n’ayant pu, faute de vivres, défendre la ligne du Mincio[1], avait dû se retirer jusqu’à l’Adda pour y attendre l’arrivée de l’armée française et de sa propre réserve, ainsi que de la garde nationale mobile. Le comité de défense, que le général Olivieri avait confirmé dans ses fonctions et auquel de pleins pouvoirs avaient même été confiés, venait d’envoyer des ingénieurs le long de la ligne de l’Adda pour la fortifier et pour élever les eaux de la rivière de manière à ce qu’elle ne fût pas guéable. L’ordre avait été expédié en même temps aux autorités de Cassano-d’Adda (gros bourg situé sur cette rivière, à quatre lieues de Milan) pour que le pont fût rompu. L’on fit remarquer au comité qu’un troisième pont, celui de Bisnate, se trouvant entre celui de Lodi et celui de Cassano, et sur la route directe de Crémone, c’était par là que les Autrichiens tenteraient probablement le passage. Or, l’on ignorait si des précautions avaient été prises par les Piémontais pour couper les communications sur ce point. Le comité, tout en refusant d’admettre que la prudence piémontaise eût pu négliger ce soin, envoya en toute hâte le capitaine Gatti à Bisnate, avec mission de faire sauter immédiatement le pont. Le capitaine Gatti était à peine sorti de la ville, qu’il fut rejoint par un messager du général Salasco, qui l’engagea, au nom de cet officier supérieur, à ne pas continuer sa route, assurant que le pont de Bisnate se trouvait gardé par un détachement piémontais que M. Salasco lui-même y avait envoyé. M. Gatti ne crut point néanmoins devoir revenir sur ses pas, car il se proposait de rendre compte au gouvernement de la situation du pays ; seulement il se pressa moins. Arrivé à Bisnate, il est fort étonné de ne pas apercevoir un seul soldat piémontais : il se dirige vers le pont ; mais, avant qu’il ait pu s’en approcher, une douzaine de coups de feu l’avertit que le rivage est gardé, et qu’il est trop tard pour empêcher l’ennemi de passer l’Adda. M. Gatti dut revenir sans avoir pu rencontrer le détachement promis et annoncé par le général Salasco.

Quoi qu’il en soit, l’attitude de Milan au moment où, prête à me

  1. On attribuait cet embarras à l’infidélité de quelques fonctionnaires publics. Les vivres destinés à l’armée piémontaise auraient été, par une méprise calculée, envoyés à l’armée ennemie.