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Lombardie, et la petite phalange, on le devine, ne tarda pas à se trouver au complet. On avait rarement vu toute une population s’arracher aussi brusquement à un long repos sous l’influence d’une même pensée de guerre et de dévouement. Parmi les jeunes gens qui demandaient à me suivre en Lombardie, les uns, appartenant aux premières familles de Naples, s’étaient échappés furtivement de leurs maisons pour venir me trouver, et n’emportaient sur eux que quelques carlins ; les autres, modestes employés, échangeaient sans regret contre la vie des camps la place qui les faisait vivre ; des officiers s’exposaient au châtiment des déserteurs pour aller porter le mousquet contre l’Autrichien ; des pères de famille s’éloignaient de leurs femmes et de leurs enfans, et un jeune homme, dont le mariage long-temps attendu devait être célébré le lendemain du jour fixé pour mon départ, faisait passer la défense de la patrie avant les plus chers devoirs.

Je n’oublierai jamais le moment de ce départ. Le temps était admirable, et l’embarquement devait avoir lieu à cinq heures du soir. Lorsque j’arrivai au bateau, la mer était déjà couverte de légères embarcations accourues de toutes parts afin de nous souhaiter un heureux voyage. Au milieu de cette foule de navires, le nôtre était aisément reconnaissable à la rangée d’armes étincelantes qui couvraient le pont et dépassaient le bordage. Mes volontaires m’attendaient. Pendant les courts instans qui furent remplis par les derniers préparatifs, nous fûmes encore assaillis d’innombrables demandes. De tous les petits bâtimens qui entouraient le nôtre s’élevaient des voix suppliantes pour nous conjurer d’inscrire un nom de plus sur notre liste, déjà complète. Nous ne pûmes malheureusement opposer que des refus réitérés à ces instances si pressantes, et, lorsque notre bateau se détacha du rivage, un seul cri partit de cent mille bouches ; tous nous laissaient pour adieu ces mots : « Nous vous suivrons ! »

Notre traversée fut des plus rapides. A Gênes, nous trouvâmes un accueil vraiment cordial. La population milanaise s’était préparée également à saluer notre arrivée par des témoignages de sympathie auxquels le gouvernement provisoire jugea prudent de s’associer. Mes deux cents volontaires étaient, après les soldats piémontais, les premiers Italiens venus en Lombardie pour prendre part à ce que l’on appelait alors la croisade et la guerre sainte. La présence à Milan du premier corps de volontaires napolitains semblait garantir que la guerre contre l’Autriche allait devenir une guerre italienne, au lieu d’être une guerre lombardo-piémontaise. Les départs consécutifs de quatre autres légions napolitaines vinrent bientôt ajouter au sentiment de confiance que l’arrivée de ces premiers volontaires avait déjà inspiré. Quelques-uns de nos gouvernans se refusèrent pourtant à le partager. Appelée en quelque sorte à répondre du sort des jeunes gens qui m’avaient suivie