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l’art : est-il nécessaire d’ajouter que, pour clore la série des créations photographiques, un dernier pas reste à franchir ? Il reste à reproduire la couleur. Aux produits déjà si merveilleux de l’appareil de Daguerre, à ces images d’une si admirable fidélité, d’une délicatesse si parfaite, il faut ajouter le charme du coloris. Il faut que le ciel, les eaux, toute la nature inanimée ou vivante puisse s’imprimer sous nos yeux en conservant la richesse, la variété, l’harmonie de ses teintes. L’action de la lumière nous donne aujourd’hui des dessins, il faut que ces dessins deviennent des tableaux. Mais, avant tout, le fait est-il réalisable et la reproduction spontanée des couleurs naturelles ne dépasse-t-elle point la limite des moyens dont la science dispose aujourd’hui ?

Certes, si l’on eût, il y a quatre ou cinq mois, adressé cette question à quelque savant initié aux lois générales de l’optique, il n’eût guère hésité à condamner cette espérance. « Rien n’autorise, aurait-il dit, rien ne justifie l’espoir de fixer un jour les images de la chambre obscure en conservant leurs teintes naturelles ; aucune des notions que nous avons acquises sur les propriétés et les aptitudes de l’agent lumineux ne se trouve liée à un phénomène de cet ordre. Au point de vue théorique, on comprend sans difficulté l’invention de Daguerre et le parti qu’on en a tiré ; il a suffi, pour en venir là, de trouver une substance qui, au contact des rayons lumineux, passât du blanc au noir ou du noir au blanc. Il n’y avait dans cette action rien de très surprenant, rien qui ne fût en harmonie avec les faits que l’optique nous enseigne ; mais de là à l’impression spontanée des couleurs, il y a véritablement tout un monde de difficultés insurmontables. Remarquez bien, en effet, qu’il s’agit de trouver une substance, une même substance, qui, sous la faible action chimique des rayons lumineux, soit influencée de telle manière, que chaque rayon inégalement coloré provoque en elle une modification chimique particulière, et de plus que cette modification ait pour résultats de donner autant de composés nouveaux reproduisant intégralement la couleur propre au rayon lumineux qui les a frappés. Il y a dans ces deux faits et dans l’accord de ces deux faits des conditions tellement en dehors des phénomènes habituels de l’optique, que l’on peut affirmer sans crainte qu’un tel problème est au-dessus de toutes les ressources de la science. » Voilà ce que notre physicien n’eût pas manqué de répondre, et certes il eût trouvé peu de contradicteurs. Pourtant une observation entièrement inattendue est venue changer, on peut le dire, toute la face de la question.

M. Becquerel a réussi à imprimer sur une plaque d’argent l’image du spectre solaire[1]. On sait ce que les physiciens entendent par spectre

  1. Comptes-rendus de l’Académie des Sciences, février 1848.