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teintes entre le mat des particules blanchies et la diaphanéité des autres parties de la plaque produisait seule les effets du dessin. Toutefois cette modification du procédé de Niepce ne diminua que faiblement la durée de l’exposition dans la chambre noire : sept à huit heures étaient encore nécessaires pour obtenir une vue. Cette méthode avait d’ailleurs un inconvénient fort grave : au bout d’un certain temps, l’image s’effaçait en partie.

Heureusement, le hasard, qui avait joué un grand rôle dans les premières expériences photographiques, amena cette fois encore les inventeurs sur la voie véritable. On a vu qu’avant son association avec M. Daguerre, Niepce avait essayé de donner plus de vigueur à ses dessins en renforçant les noirs à l’aide des émanations sulfureuses ou des vapeurs de l’iode. Or, il arriva un jour qu’une cuiller laissée par mégarde sur une plaque d’argent iodée y marqua son empreinte sous l’influence de la lumière ambiante. Cet enseignement ne fut pas perdu. Aux substances résineuses on substitua l’iode, qui donne aux plaques d’argent une sensibilité lumineuse exquise. Ce fut le premier pas vers l’entière solution d’un problème qui avait déjà coûté vingt ans de recherches assidues ; mais il n’était pas réservé à l’inventeur de jouir du triomphe définitif dans lequel il avait placé les espérances de sa vie Niepce, alors âgé de soixante-trois ans, mourut à Châlons, le 5 juillet 1833. Il mourut pauvre et ignoré. L’auteur de la plus intéressante découverte de notre siècle s’éteignit sans gloire, oublié de ses concitoyens, avec la pensée désolante d’avoir perdu vingt années de sa laborieuse carrière, dissipé son patrimoine et compromis l’avenir de sa famille à la poursuite d’une chimère.

Resté seul, M. Daguerre continua ses recherches avec ardeur. Cinq ans après la mort de Niepce, il avait imaginé dans tout son ensemble la méthode admirable qui lui a mérité l’honneur d’attacher son nom à une science nouvelle.

La découverte de Niepce et de Daguerre fut connue pour la première fois par l’annonce publique qu’en fit M. Arago dans la séance de l’Académie des Sciences du 7 janvier 1839. Chacun se souvient de l’impression extraordinaire qu’elle produisit en France et bientôt dans toute l’Europe. Le nom de Daguerre acquit en quelques jours une célébrité immense. Toutes les voix de la presse célébrèrent à l’envi ce nom presque inconnu la veille ; mais, on le sait, du modeste et infortuné Niepce, pas un mot. Dans ce concert d’acclamations enthousiastes, il n’y eut pas un cri de reconnaissance pour le pauvre inventeur mort à la tâche.

Dans sa communication académique, M. Arago s’était borné à faire connaître le principe de la découverte et à présenter les produits de cet art nouveau. Il avait dû se taire sur les procédés employés par l’habile artiste. Cependant une telle découverte ne pouvait rester secrète.