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villes, c’est la croyance qu’on augmenterait les moyens de consommation, en attachant un plus grand nombre d’ouvriers aux cultures alimentaires. Le contraire précisément aura lieu, à mesure que se perfectionnera l’industrie agricole. Moins les fruits de la terre sont surchargés par les frais de la main-d’œuvre, et plus le prix en devient accessible au pauvre. En Angleterre, où la population rurale est descendue à 22 pour 100, une famille de cultivateurs nourrit trois familles après s’être alimentée elle-même. En France, il faut deux laboureurs pour nourrir un artisan. Ce que l’agriculture produit en excès, occasionnant, par l’échange, une égale fabrication dans les villes, lorsque le fermier anglais achète pour 3 francs, le fermier français ne peut acheter que pour 50 centimes. Le contraste est instructif. Ne cédons pas légèrement à cette manie de transplanter dans les campagnes les ouvriers des villes. Chacun ne peut être employé avantageusement que dans le métier qu’il sait, sous le régime dont il a l’habitude. Un tisserand ou un bijoutier ne ferait pas meilleure figure en plein champ, sous le soleil, qu’un bouvier ou un vigneron dans une manufacture. Persuadons-nous qu’il y a une étroite solidarité entre tous les travailleurs, et que le niveau de l’aisance monte ou baisse à peu près également pour toutes les professions. Que mille communes s’enrichissent en fabriquant abondamment des denrées alimentaires, elles aspireront au bien-être et demanderont aux villes des étoffes et des meubles : l’ouvrier citadin profitera doublement par l’abaissement du prix des vivres et par une demande plus forte de son travail.

Les projets d’améliorations et de réformes agricoles sont si nombreux depuis quelque temps, qu’il me serait impossible d’en épuiser aujourd’hui la série ; il y faudra revenir. Cette émulation est de bon augure. Un Anglais dont la parole fait autorité, Arthur Young, écrivait en 1789 : « Qu’il me soit permis d’observer que le sol de la France est presque partout meilleur que celui de l’Angleterre. Il est réellement remarquable que le produit de ce premier pays soit tellement inférieur à celui du dernier. » L’heure du progrès semble venue pour nous. Dans les circonstances où nous nous trouvons, ce n’est pas ’-un malheur que d’avoir à accomplir de ces vastes opérations dans lesquelles se retrempe la vitalité d’un peuple. Par le bien-être qu’elles répandent et le mouvement qu’elles provoquent, les réformes agricoles deviennent un palliatif puissant dans les crises sociales. Les difficultés sont plus grandes chez nous que chez nos voisins, plus grandes aujourd’hui qu’au dernier siècle : entre l’impatience fiévreuse de certains novateurs et la routine défiante des propriétaires, il faudra qu’une influence supérieure intervienne. Nécessité fera loi.


ANDRÉ COCHUT.