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métayer réaliserait trois fois plus en travaillant moins. Lorsque toutes les valeurs, capital, main-d’œuvre et récoltes, seront évaluées en argent, il deviendra facile de répartir les fruits avec une exactitude mathématique à l’égal avantage des intérêts associés. Il n’y aura plus d’améliorations impossibles pour le propriétaire méridional, surtout s’il est favorisé par un bon système de crédit.

Je n’ai pas la prétention de formuler d’une manière définitive un nouveau mode d’économie rurale : il faudrait, pour le justifier, des démonstrations et des calculs hors de propos ici. J’ouvre seulement un champ de recherches à ceux qui pensent, comme moi, que de larges et profondes réformes sont inévitables, et qu’il vaut mieux les accomplir à bon escient que de laisser faire à la fatalité.

Les principes du libre échange, appliqués à l’agriculture, sont-ils favorables ou contraires aux intérêts de la propriété ? Suffit-il d’abaisser les barrières de douanes pour que l’alimentation soit plus économique et plus abondante ? Je ne pense pas qu’il soit possible de trancher cette double question d’une manière absolue. L’économie rurale de chaque pays est commandée par le régime, et, pour ainsi dire, par le tempérament de chaque société. Si, à défaut de doctrine, on interroge les faits connus, ils se présentent avec tant de diversités et de contradictions, qu’il est difficile d’en tirer un enseignement général et positif. Sous l’ancien régime, l’importation des blés était permise chez nous. Comme la France produisait en céréales au-delà de ses besoins, la permission d’acheter à l’étranger, contrariée d’ailleurs par les douanes intérieures, ne blessait pas les intérêts de la propriété. L’exportation était au contraire interdite. Vers le milieu du siècle, l’école de Quesnay essaie de constater théoriquement que le libre commerce, stimulant la production, a le double avantage d’assurer l’approvisionnement et de maintenir dans un juste équilibre les intérêts du producteur et du consommateur. On cite l’exemple de l’Angleterre, où règne l’abondance, quoique l’exportation y soit non-seulement tolérée, mais excitée par des primes. L’influence de la grande propriété triomphe des préjugés populaires. Qu’en arrive-t-il ? Pendant les huit années de prohibition qui précèdent le régime libre (1756-1763), le prix moyen du blé, rapporté aux mesures adoptées aujourd’hui, équivaut à 10 francs 73 centimes l’hectolitre ; pendant les huit années qui suivent (1764-1774), sous l’empire du laisser-faire, les prix s’élèvent d’un tiers (moyenne, 15 francs 09 centimes), si bien que le mécontentement du peuple compromet la réforme libérale[1]. Je ne prétends pas tirer de ces faits une conclusion contraire au libre échange. Je reconnais que le caprice des saisons

  1. On peut vérifier ceci dans les Archives de statistique, volume publié en 1837 par le ministère du commerce. On y trouve le prix moyen du blé depuis 1756.