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en pays ennemi. Après avoir manqué aux traités qui nous unissaient avec l’Autriche, on n’a rien trouvé de mieux que de manquer à la parole qu’on avait donnée à l’Italie, et l’on a imaginé la médiation ; mais on ne pouvait guère être médiateur à soi seul entre deux parties qu’on avait également blessées. Il a fallu aller chercher à Londres un introducteur qui nous fit admettre, et, moyennant cette garantie, on est parvenu, au bout de six mois de négociations, à ce merveilleux résultat, pour les Milanais opprimés, de faire indiquer un lieu pour ouvrir des conférences. Pendant ce temps, l’orage a grossi à Rome : les démagogues ont jeté le masque ; vainement le pontife effrayé a cherché quelque appui du côté de la France ; pour qu’on lui donnât signe de vie, il a fallu qu’il vit son ministre égorgé sur les marches de son palais, et des canons pointés contre lui. Alors aussi on s’est aperçu qu’il y avait des catholiques en France, et que ces catholiques même étaient électeurs.

Le profit que la révolution de février empêcha le dernier gouvernement français de retirer de sa conduite loyale et prudente, M. Rossi l’avait recueilli tout entier. Pie IX et les hommes sages de l’Italie reconnurent de quel côté leur étaient venus les véritables conseils d’amis, et c’est ce jugement de la raison publique qui porta M. Rossi à la tête du gouvernement pontifical. Il y entra pour diriger ce généreux mouvement de l’Italie, objet de tant d’espérances, et que les fautes des partis et les violences démocratiques n’avaient pas encore trop complètement compromis. Depuis deux mois qu’il tenait le pouvoir, chacune de ses journées, laborieusement employées, était marquée par quelque mesure de réforme. Il s’efforçait de plier aux institutions constitutionnelles la vieille machine du gouvernement pontifical, et de contenir en même temps dans l’enceinte des libertés légales l’essor du mouvement populaire. Déjà il avait soustrait le trésor papal aux exigences d’une crise financière menaçante. Il préparait des mesures législatives pour opérer, dans les diverses parties de l’administration, la séparation complète des élémens spirituels et temporels, et pour déterminer ainsi d’une manière précise dans quelle sphère pourrait s’exercer l’initiative politique du pays. Plein de ces vastes problèmes, tout prêt sans doute à les exposer avec sa lucidité accoutumée, il montait les degrés du palais législatif, lorsqu’une populace brutale l’accueillit par des cris. Il se retourna vers elle, nous dit-on, en souriant, comme s’il eût défié la violence de trancher de telles pensées. Cette noble confiance fut trompée. Le théâtre de ce monde appartient-il donc à la force ?

C’est avec un douloureux serrement de cœur qu’on pose une telle question. Comme le débat s’est établi, en effet, entre M. Rossi et ses meurtriers, il est ouvert aujourd’hui partout en Europe. Pendant trente ans, la liberté constitutionnelle, dont l’influence rayonnait même sur les pays qui n’en jouissaient pas encore, avait porté à un degré inouï le respect de la vie humaine et la douceur des relations privées ; des rapports fraternels s’établissaient paisiblement entre tous les peuples ; la prospérité débordant descendait des rangs élevés aux rangs inférieurs de la société. Quatre ou cinq grandes villes bombardées, les populations des campagnes mourant de faim, des généraux, des prêtres, des premiers ministres couvrant de leur cadavre le pavé des rues, voilà le progrès et la liberté que d’autres doctrines nous ont faits.

A. de B.

V. de Mars.