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par lui. Ayez peu de foi aux applaudissemens populaires, ils se changent vite en murmures. Travaillez pour le bien qui dure, et non pour la récompense passagère et dangereuse d’une ovation de la rue. »

Aux Italiens, à leur tour, l’envoyé de la France avait un autre langage à tenir. En associant les vœux de la France à ceux que cette nation malheureuse formait pour sa liberté renaissante, en les assurant de l’appui de son gouvernement contre toute atteinte du dehors qui pourrait les menacer : « Prenez garde cependant, disait-il aux Italiens ; il y a deux extrémités où la France, dans sa bonne foi, vous avertit de ne pas compter sur elle : une attaque imprudente et précipitée contre la puissance autrichienne dans le nord de l’Italie ; un affaiblissement exagéré de l’autorité spirituelle du souverain pontife à Rome. La première vous serait funeste à vous-mêmes, la seconde compromettrait la liberté religieuse du genre humain. Pour aller attaquer l’Autriche dans ses forteresses de Lombardie, un désir, si généreux qu’il soit, n’est pas suffisant. Rien n’est prêt, chez vous, pour une guerre de l’indépendance ; vos troupes sont sans chefs, sans canons, sans vêtemens ; vos populations dispersées ne ressemblent point aux guérillas de l’Espagne ; elles ne viendront point, je les connais, au rendez-vous de l’insurrection. C’est à la France encore qu’il vous faudra recourir. La France ne prend conseil que de son honneur, et ne se met par avance à la discrétion de personne. Quant au trône pontifical, la chose est plus sérieuse encore. L’indépendance du souverain pontife est sous la garantie commune de la conscience des catholiques. Rome, avec ses monumens élevés par les trésors de l’Europe entière, Rome, centre et tête du catholicisme, appartient aux chrétiens encore plus qu’aux Romains mêmes. Tenez-vous bien pour avertis que nous ne vous laisserons pas décapiter la chrétienté et réduire le pape fugitif à demander un abri qu’on pourrait faire payer cher à sa liberté. »

Il faut avoir entendu M. Rossi répéter, à toutes les heures et sous toutes les formes, ces fortes paroles pendant deux années pour comprendre ce que c’est que l’autorité d’un ambassadeur, et quelle force se prêtent mutuellement le nom d’un grand peuple et les ressources d’un grand esprit. Les révolutionnaires de l’Italie, gênés par ce témoin incommode, firent entendre contre lui des clameurs dont l’opposition de France, trop prompte malheureusement à accueillir contre son gouvernement les calomnies de l’étranger, s’empressa de se faire l’écho. La révolution de février se chargea de les en débarrasser. Une autre politique a été adoptée par la France, d’autres conseils ont été suivis par l’Italie ; que la France, dans son équité, juge et compare !

Au lieu de presser le gouvernement d’accomplir des réformes pratiques et sincères, on a mieux aimé encourager les peuples à faire des révolutions. Au lieu de prévenir l’Italie des chances funestes d’une guerre de l’indépendance, on a mieux aimé mettre à ses ordres spontanément et sans demande les troupes et les trésors de la France. Au lieu de protéger par avance la personne et l’autorité du pape contre les attentats de ses sujets, au lieu de déclarer nettement qu’on ne laisserait pas ébranler la puissance pontificale, on a mieux aimé fraterniser d’un bout de l’Italie jusqu’à l’autre avec les ennemis de la religion et du trône ; on s’est fait belliqueux à Turin, et révolutionnaire partout.

Les conséquences ne se sont pas fait attendre. L’expédition de Piémont a eu tout le succès que s’en promettait M. Rossi. On s’est aperçu alors qu’il était moins dangereux de promettre et de rassembler des troupes que de les faire passer