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ment celle-là ; son président, M. Henri de Gagern, aura bientôt une place marquée parmi les hommes d’état les plus distingués de l’Europe ; ses qualités personnelles, ses connaissances, le tact infini de ses procédés, lui ont assigné un rôle important dans les circonstances les plus difficiles que sa patrie ait encore traversées. Quels que soient les talens dont on dispose à Francfort, on ne peut pas faire qu’une influence trop uniquement morale s’emploie avec autant d’empire que si l’on avait sous la main des ressources plus matérielles, pour obtenir ou commander l’obéissance. Ni M. de Gagern n’a été suffisamment écouté à Berlin, ni M. Welker à Olmütz. La Prusse et l’Autriche, une fois qu’elles ont eu repris pied, n’ont voulu que d’elles-mêmes pour mettre l’ordre chez elles. Francfort a été jusqu’ici un pouvoir d’ordre et de paix ; il ne peut donc point en appeler à l’insurrection pour punir ceux qui ne tiennent pas compte de ses avis ou de ses arrêtés, et l’insurrection des peuples serait pourtant la seule sanction qui lui restât contre la désobéissance des gouvernemens. Francfort a commis aussi, disons-le, vis-à-vis de l’Autriche, une faute qu’il paiera tôt ou tard. La diète centrale, groupée autour d’un archiduc autrichien, s’est attaquée presque sans relâche à l’intégrité de la monarchie des Habsbourg ; elle a reçu de prétendus ambassadeurs magyars ; elle a laissé ses plus ardens radicaux partir en guerre contre les généraux de l’empire ; elle a pris fait et cause pour les vaincus de Vienne, et s’est embarquée dans des réclamations périlleuses au sujet de Robert Blum. Elle a décidé quelque chose de plus irritant : elle a voté dans son projet de constitution deux paragraphes qui mettraient en question l’existence même de l’Autriche, s’il était jamais possible à l’Allemagne de les exécuter.

Ce sont ces griefs de l’Autriche contre Francfort, griefs accusés chaque jour par un concert de protestations nationales, qui constituent le démêlé le plus sérieux que nous devions maintenant voir grandir de l’autre côté du Rhin ; mais il n’y a point là de difficulté constitutionnelle ou sociale : c’est un problème d’équilibre international, de relation politique d’état à état. Nous ne croyons pas que l’Europe en ait fini avec les épreuves auxquelles l’ont soumise les révolutions intestines de cette année ; nous pensons cependant que la situation nouvelle de l’Allemagne est très propre à étouffer les dernières tentatives que des esprits de trouble et de violence pourraient encore risquer. L’Italie semble même maintenant le seul foyer où bouillonne toujours la lave démagogigue ; mais il devient de plus en plus évident que, ni à Turin, ni à Rome, ni même à Florence, la démagogie, tout en se parant du prétexte de l’indépendance nationale, n’est de force à lutter contre le sens public, contre la volonté générale de l’Europe, C’est seulement à compter du jour où la démagogie aura disparu de partout, qu’il sera possible de fonder une sage et véritable démocratie par la modération et la justice.


M. ROSSI

Nous avons éprouvé le besoin de laisser l’indignation publique se faire justice sur la tombe de M. Rossi. Les sanglantes catastrophes qui ont suivi sa mort, et dont son bras seul avait retardé le débordement, les cris d’admiration que cette fin glorieuse a arrachés même à d’anciens adversaires, nous semblaient parler plus haut que tous les éloges. L’Institut, qui peut mesurer dans ses propres rangs toute l’étendue d’une telle perte, a confié le soin de la faire apprécier du public à un écrivain éloquent, naturellement désigné par l’amitié et par cette