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les populations autrichiennes la conscience plus claire de cette communauté d’intérêts qui a créé leur fortune en constituant un empire avec elle. Le jeune empereur François-Joseph se nomme encore, comme ses prédécesseurs, roi de Hongrie et de Bohême, roi de Croatie, de Slavonie et d’Illyrie, duc de Lorraine, de Salzbourg, de Styrie, de Karinthie et de Carniole, grand prince de Transylvanie, margrave de Moravie, comte princier de Tyrol, de Kybourg, de Goerz et de Grodszka, comte de Bregenz, etc. Il a cependant désormais une qualité supérieure à toute cette nomenclature féodale, il est investi d’une puissance plus haute que celle dont ses ancêtres lui avaient légué les titres si divers, et cette puissance, il la tient de la force des choses, à présent bien démontrée : il est purement et simplement empereur d’Autriche, l’empereur d’une Autriche unitaire.

Il y a deux fractions au sein de ces trente-six millions d’hommes qui ne sont point appelées à se réjouir de cette unité nouvelle : c’est d’un côté la race magyare, de l’autre une minorité d’Allemands dévoués soit au radicalisme politique des démagogues, soit au doctrinarisme historique des professeurs d’université. On sait de reste comment les Magyars ont dû naturellement lutter contre cette fusion générale de toutes les familles autrichiennes sous la loi d’un même empire, qui les condamnait fatalement à voir disparaître la prépondérance de leur nom, de leur langue, de leur sang. On ne sait pas assez comment ils ont trouvé des alliés sur lesquels ils n’avaient pas droit de compter. Malgré les vieilles rancunes germaniques, c’étaient des Allemands qui devaient les servir dans cette démolition qu’ils essayaient. M. Welker le proclamait encore dernièrement à la tribune de Francfort, et M. Welker est un témoin qu’on peut citer aux plus zélés démocrates : « L’insurrection n’a commencé dans Vienne que lorsque l’or des Magyars y est arrivé. » Nous ne parlons pas cependant de cette aide brutale donnée par les agitateurs de la rue à des intrigues révolutionnaires, nous parlons surtout de l’aide morale des doctrines. Il ne s’agissait point seulement, pour les radicaux teutons, de fraterniser avec les radicaux magyars dans une pensée de réforme politique ou sociale ; il y avait sous jeu une tendance séparatiste de même espèce, une même envie d’émancipation nationale. Cette idée-là partait de Francfort, et nous verrons tout à l’heure les embarras qu’elle y a causés. Appliquée à coups de fusil par les étudians de l’Aula, elle n’en remontait pas moins au dogmatisme professoral du grave M. Dahlmann : c’était l’idée de subordonner tout établissement politique à la règle absolue de l’unité de race, de tailler l’Autriche pour ne lui laisser que des Allemands, ou pour la mettre en dehors de l’Allemagne. Plus d’Allemands qui, là où ils sont, ne soient en Allemagne ! l’Allemagne partout où il y a des Allemands ! Telle est au fond la pensée qui s’est unie au séparatisme magyar sur les glacis de Vienne, pour détruire en commun l’édifice des Habsbourg. Elle a succombé par le fait en attendant qu’elle succombe en droit devant la discussion et les négociations.

Contre ces tentatives de démembrement qui s’effectuaient sous le drapeau de la démocratie, l’Autriche unitaire arbore maintenant elle-même le drapeau libéral des institutions constitutionnelles. L’Autriche a compris que ces couleurs jaune et noire, qui plaisaient encore aux peuples comme l’emblème patriotique d’un grand empire, choquaient pourtant aussitôt qu’on les attribuait comme insignes aux velléités de l’ancien absolutisme. L’étendard tricolore de l’Allemagne n’avait eu l’avantage sur le jaune et noir des Habsbourg qu’autant qu’on l’avait pu prendre pour une protestation contre la politique des camarillas. Il y avait