Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 24.djvu/1024

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

elle manque de but. On conspire par désennui, on assassine par passe-temps. A force de s’étourdir au sein de cette ivresse morale, la surexcitation devient nécessaire aux Irlandais. Une de leurs plus curieuses inventions, c’est, quand un roi, un prince, quelque grand personnage visite une de leurs villes qui n’a pas de portes, d’en faire une, pour avoir le plaisir de la lui ouvrir et l’honneur de lui en offrir les clés. En Irlande, comme en France, les masses sont théâtrales ; amies des décorations et des costumes, elles suivent l’instinct ; — elle n’ont pas de principe.

Ainsi du sein de la civilisation renaît la barbarie ; cette dernière ramènera peut-être la civilisation. Une évolution nécessaire, analogue à celle de nos forêts, où le chêne se transforme en engrais, et où des pousses nouvelles et verdoyantes jaillissent sans cesse des détritus accumulés, ramène les peuples de la désorganisation à l’organisme. Mais rien n’est plus horrible et plus douloureux que la mort qui succède à la vie normale ; — seconde barbarie, enfance en cheveux blancs, énervement sans grace, férocité décrépite, qui, perdant le sens divin et moral, retourne aux instincts brutaux et se courbe vers la terre.

Dans une telle contrée, la justice n’est jamais respectée. Aux assises, quand la liste des prévenus est un peu plus chargée qu’à l’ordinaire et que le peuple s’intéresse à certains d’entre eux, la force militaire est convoquée ; le village devient un camp. Les gens des hameaux voisins essaient de délivrer les condamnés ; on se rue sur les troupes pour arracher à la justice ces victimes infortunées ; bientôt le combat s’engage, c’est ce que l’on désirait ; femmes et enfans s’en mêlent ; les rues se remplissent de morts et de blessés, et souvent les maisons brûlent au milieu du combat. Vient le juge de paix, quelque conspirateur émérite, qui, mécontent de ses complices, les a tous livrés un jour, a reçu sa récompense, et qui, possédant les secrets du pays, en devient la terreur.

Telle est la situation réelle de l’Irlande, toujours mal peinte et mal analysée par les philosophes et surtout par les hommes politiques. On a jeté l’anathème sur l’Angleterre, sur Cromwell, sur O’Connell, sur la religion catholique, sur les orangistes, sur le fanatisme, sur les ministres, sur les conspirations. Le vrai mot de cette situation fatale est une mauvaise éducation de peuple. Les Irlandais, comme les Français, ne sont point une race politique, Le trait rapide de leur esprit, la saillie ardente de leurs ames, la générosité admirable de leurs habitudes, la charmante facilité de leurs mœurs, sont autant d’élémens de ruine pour une population qui n’a été élevée ni au travail, ni à l’abnégation, ni à la persévérance.

Chaque nation a son rôle et sa mission propres dans la grande harmonie des peuples. Toute race tient sa partie spéciale, et la destination de l’Irlande a été splendide. Elle a préludé à toute la civilisation moderne, au commencement du moyen-âge ; cette île du Nord, tournée vers le Midi, a recueilli et répandu sur les îles voisines et une partie