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souvent à profit, car il ne se passait pas huit jours qu’il ne servît de témoin utile dans quelque duel. Résolu d’ailleurs à s’amuser de tout, descendant évidemment de Fingal, dont son nom (Finucane) n’est qu’une forme altérée, il ne paraissait jamais que vêtu de noir, et ne prononçait pas deux paroles qui ne fissent rire aux éclats cette société d’hommes enfans, ce monde de héros souvent burlesques. On sait que le duel, non la représentation et le simulacre du duel, mais le combat à mort avec toutes ses chances, est un événement de chaque jour dans la vie du véritable Irlandais, qui n’y pense pas plus qu’à s’en aller dîner en ville, et accomplit d’une façon très naturelle cette nécessité de sa vie nationale. Finucane ne faisait pas autre chose que de raccommoder des bras et des jambes endommagés par cette habitude destructive. Montrons-le, non dans le style beaucoup trop diffus de l’auteur, mais du moins en conservant les traits principaux du portrait que M. Lever lui a consacré.


« D’où venez-vous donc, docteur ? demandèrent simultanément deux ou trois voix au moment où, tout couvert de poussière, il entrait dans la petite salle enfumée où les convives de la table d’hôte prenaient le thé. Quel nouveau fun avez-vous à nous raconter ?

— La vie est triste ! s’écria le docteur du ton le plus dégagé et le moins mélancolique ; le pauvre O’Flaherty, cet officier que vous avez tous vu souvent, est mort d’un grand coup d’épée que lui a donné Curzon. Je l’ai soigné trois jours ; impossible de le sauver.

« Ces paroles furent suivies d’une lamentation générale, oraison funèbre de nature à satisfaire les mânes du défunt.

— Il avait bu tant de bouteilles de claret ! si bon écuyer ! entendant si bien la plaisanterie et comprenant si admirablement la théorie des dettes dans toutes leurs ramifications !

« Alors on se mit à raconter les aventures d’O’Flaherty, et ce fut une légende qui n’en finissait pas.

— A propos d’aventures, s’écria le jeune Lorrequer, vous connaissez sans doute celle dont j’ai été le héros avec Finucane ?

— Non, non ! s’écrièrent tous les assistans ; racontez, sous-lieutenant. Prenez une bonne tasse de thé, et dites-nous cela.

— Ce n’est pas trop à mon avantage, et vous rirez peut-être de moi ; je le permets aux dames, en l’honneur du beau sexe ; quant à ces messieurs, ils me connaissent.

— Allez toujours, sous-lieutenant, et que Dieu vous bénisse ! Ce sera votre sixième duel pour votre compte.

— Et mon quatre-vingt-douzième pour les autres, reprit le docteur en se redressant. Parlez, mon cher Lorrequer.

— C’était donc en 1839. À cette époque, où, grace aux querelles des orangistes et des non-orangistes, les balles sifflaient d’un bout à l’autre bout de l’Ile Verte, je fus appelé par un ami qui demeurait à Naas et qui allait avoir une affaire d’honneur. Pas un moment à perdre. Je me trouvais à Dublin quand je reçus la