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ne voulant pas, malgré sa position géographique, être membre de la communauté britannique, reste à l’état de province mécontente et de province détachée du centre, envieuse, haineuse, ennemie de la métropole. L’esprit de clan la domine, les prétentions hostiles la rongent, les individualités révoltées la dévorent. Pleins de sagacité, de courage et de génie, malins, moqueurs et bons enfans, les Irlandais, au lieu d’entrer dans le concert social, le dérangent. Supérieurs à leurs voisins par l’esprit, la saillie, la facilité, la grace et l’ardeur, mais toujours battus dans la vie pratique, ils se vengent par la haine. Ils voudraient être républicains et sont monarchiques, riches et sont paresseux, maîtres et ne savent pas se gouverner. Toujours enfans, ils poursuivent la chimère avec une ardeur de vivacité héroïque, et cette recherche de l’impossible à travers les chances de l’imprévu dévore leurs ressources, anéantit leurs forces, détruit leur avenir et extermine leurs générations.

Si je parle ainsi sans pitié de cette charmante et triste race, c’est que tous les vices qui la perdent sont les nôtres ; c’est encore parce que les philanthropes, ces tartufes dangereux qui nous ont trompés, ont représenté l’Irlande sous les couleurs les plus fausses. Pour l’Irlande comme pour nous, la question que l’on croit politique est toute morale. Rendez l’activité saine à ces ames envieuses et orgueilleuses, elles vont diriger des bras actifs. Relevez les principes détruits, et vous verrez ces vives intelligences reconstruire la société. En vain leur donnerez-vous des formules. Si l’on examine les plaies de la France depuis cent ans, on reconnaîtra que les formules ou constitutions politiques, essais renouvelés sans cesse d’organisation et de guérison impossibles, touchent à peine au fond des choses, et qu’en dépit des philosophes spéculatifs, la question va plus loin. Vous créerez un parlement ou deux parlemens ; vous ferez l’aumône sur une grande échelle ; vous tracerez des chemins de fer ; vous protégerez l’agriculture et le commerce ; vous proclamerez des lois favorables au pauvre : en vain. A moins de changer les ames, vous n’empêcherez pas que le paysan n’aime mieux mourir de faim dans son haillon, et se battre avec le voisin après boire, que vivre honnêtement et laborieusement sous un toit d’ardoise, à côté d’un champ pénible à cultiver. Travailler est une dure chose ; épargner est une occupation pleine d’ennui : allez donc proposer ces compensations froides et insuffisantes à des hommes qui depuis cinq cents années s’enivrent de tous les hasards de la vie sauvage, et dont le génie essentiellement méridional répugne aux vertus modérées.

Le génie irlandais offre un des plus singuliers mélanges que la civilisation et les migrations des races aient produits. Keltes-Milésiens, ces Gascons du Nord, jetés par les chances politiques dans les cadres du teutonisme anglo-saxon, gardent du génie oriental l’indolence sujette à de terribles réveils, et du vieux keltisme la rapidité d’action. Comme