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maux diminuer, le degré de son bien-être augmenter à la faveur de ce régime ? Les faits et la science répondent affirmativement. Procéder autrement, conclure du malheur particulier contre l’amélioration générale, c’est raisonner comme des gens qui diraient : On peut se tuer en tombant de cheval, donc l’équitation est un exercice homicide et funeste ; on peut se casser une jambe en courant, donc la fraternité commande de donner l’exostose au genre humain. En supprimant de la sorte les chances du mal, on mènerait l’homme, de mutilation en mutilation, à l’intelligence et au bonheur des huîtres. Il y a une farce italienne où Arlequin, plus conséquent et plus profond que M. Louis Blanc, dit que nous serions parfaits, si nous n’étions ni hommes ni femmes.

Je crois avoir tenu ma parole et avoir prouvé, en suivant les socialistes sur leur terrain, que leurs accusations contre la société ont pour base le mensonge et la mauvaise foi, et leurs accusations contre l’économie politique l’ignorance ou la dureté d’esprit. Il reste à examiner leurs systèmes, mais il n’est pas nécessaire de les discuter tous ; ils reposent tous, en effet, sur un même fondement. Si ce fondement est légitime, ils sont tous vrais ; s’il est chimérique, ils sont tous faux. On peut donc les juger tous d’un seul coup.

Je lisais dernièrement, dans un écrivain du XVIIIe siècle, l’anecdote suivante sur Maupertuis, ce philosophe matérialiste que M. Villegardelle, un de nos communistes les plus spirituels, a placé parmi les patrons du socialisme. Maupertuis, étendu dans son fauteuil et bâillant, disait un jour : Je voudrais dans ce moment-ci résoudre un beau problème qui ne fût pas difficile. Ce mot, dit le narrateur, peint l’homme tout entier. Je ne doute point que si M. Villegardelle et ses amis eussent existé en ce temps-là, Maupertuis, dans un de ces momens de béate indolence, n’eût pris sur lui de résoudre la question de l’organisation du travail, telle que les socialistes la conçoivent. À leur gré, en effet, ce problème est fort beau ; mais il n’est point difficile. Voici en quoi il consiste. Les socialistes considèrent un peuple ou l’humanité comme un seul homme et raisonnent ainsi : Que faut-il pour qu’un homme assure son existence ? Il faut qu’il connaisse ses besoins et qu’il produise ce que ses besoins lui demandent. Que faut-il donc pour qu’un peuple ait le bien-être ? Il faut tout simplement dresser le recensement de ses besoins ; une fois ce recensement accompli, il n’y aurait plus qu’une chose à faire : on enrôlerait des hommes dans chaque branche de la production, comme on enrôle aujourd’hui des marins et des soldats ; on saurait, combien il faut d’agriculteurs, combien de fileurs, combien de tisseurs, combien de tailleurs, combien de cordonniers, etc. Les citoyens seraient répartis, par un mode quelconque, dans chaque métier ; la production serait mise en commun : la somme des produits