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honnête, sinon bien fondée, l’assemblée s’est conformée aux vœux du ministère. M. Sénart, qui est décidément l’avocat en titre de l’humanité, a gagné sa cause pour le plus grand épanouissement de sa sensibilité larmoyante, sinon pour le plus grand avantage de la saine administration. C’est sous le poids de cette situation ambiguë et complexe que le gouvernement assistait aux débats de l’assemblée sur l’article 8.

Le droit au travail est tué dans l’opinion par les trois séances qu’ont remplies les discours de M. de Tocqueville, de M. Duvergier de Hauranne, de M. Thiers et de M. Dufaure. Il ne se relèvera pas de ces attaques mortelles du sens commun et de la bonne foi. La sagacité calme et philosophique de M. de Tocqueville, l’esprit incisif de M. Duvergier, la démonstration palpable et nourrie de M. Thiers, ont porté la confusion dans les rangs des socialistes de profession, seuls intéressés à revendiquer le droit au travail pour le tourner contre la propriété. M. Considérant, le père de la triste formule, s’est retranché pour se taire derrière l’expédient le plus puéril qu’homme aux abois ait jamais inventé. Cette formule se reproduira-t-elle maintenant « avec une apparence moins hostile à la propriété, » comme disait M. Rollinat, un quasi-socialiste de cette Vallée-Noire, où les Lettres d’un Voyageur promenaient amoureusement les lecteurs de la Revue dans des temps plus paisibles ? Nous douterions du succès, s’il n’y avait pour le recommander que le débit théâtral et la phraséologie ampoulée de l’ancien collègue du Malgache. M. Billaut eût-il été plus habile hier, s’il avait parlé ? Cela va sans dire ; mais pourquoi donc avait-il demandé la parole avant que M. Thiers parlât, et pourquoi soudain y a-t-il renoncé quand son tour l’amenait après et contre M. Thiers ? subtilité des passions ! M. Billaut a parlé aujourd’hui : est-il donc destiné à devenir socialiste ? Ce serait payer bien cher le plaisir de ne pas marcher avec ceux qui ne le sont pas. M. Dufaure au contraire, dans son remarquable discours, a clairement expliqué le sens auquel la commission entendait le nouveau texte de l’article 8 ; « c’est la traduction des sentimens sacrés qui sont dans le cœur de tous. » L’assemblée, comprenant bien que le projet n’impliquait rien de plus, n’en a pas moins rejeté l’amendement de M. Mathieu à une immense majorité. Que ceux maintenant qui, sans défendre le droit au travail dans sa rigueur absolue, soutiendraient, sans s’expliquer comme M. Dufaure, que la société doit le travail, et que l’individu, à qui elle est redevable, ne pourra pourtant pas réclamer ce travail à titre de droit, que ceux-là prennent garde d’aller se perdre au fond de l’abîme où M. Ledru-Rollin puise les flots bourbeux de sa faconde. Qu’ils prennent bien garde ! un peu plus nous les menacerions du souffle de M. Crémieux. Quel souffle et quelle faconde ! Quand il n’y a dans la langue d’un parti que les ressources banales d’une déclamation vulgaire, quand il n’y a pour habiller sa pauvreté que les lambeaux usés d’une pourpre mal teinte, ce parti orgueilleux et débile n’a d’autre espoir en face d’une discussion sérieuse que l’espoir pitoyable d’étouffer la parole de ses adversaires à force de cris et d’invectives. C’est ce qu’on a essayé sur M. Thiers, et il faisait beau voir M. Flocon indigné, secouant majestueusement sa chevelure, darder un geste menaçant contre l’orateur impassible. « Vous n’êtes qu’un parti sans justice, » s’est écrié du haut de son dédain l’homme d’état éprouvé par tant de luttes.

Un autre débat plus grave pour l’instant que celui de la constitution va s’engager après-demain, non plus au sein de l’assemblée, mais dans le corps élec-