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mocratie de M. Lagrange ? Qui sert-on, d’autre part, quand on inscrit au-dessus des lois positives qu’on définit des droits et des devoirs que l’on dit supérieurs à ces lois, mais que l’on ne définit pas ? Serait-ce par hasard le droit d’insurrection de la constitution de 93 sous la forme de l’article 14 de la charte de Saint-Ouen ? Le préambule de la constitution de 1848 combine tous ces périls avec tout ce vide et toute cette pompe : c’est pour cela que nous n’en sommes point amoureux.

Fallait-il donc le retrancher ? Ç’a été la première question abordée par l’assemblée. Nous nous trompons : un honorable chirurgien, M. Gerdy, voulait qu’on ajoutât encore à ce préambule déjà si long, et proposait sérieusement de faire défendre par la constitution républicaine la corruption, l’ambition et la cupidité. Montesquieu avait bien raison de dire que le principe de la république était la vertu. M. Pierre Leroux a parlé ensuite dans un goût moins classique, mais il s’est trouvé qu’il relisait en 1848 ses improvisations de 1845. Nous n’avons pas la naïveté d’analyser les anciens articles de M. Pierre Leroux ; M. Grandin a singulièrement entamé la divinité du sublime philosophe, en lui prouvant, pièces en main, qu’il avait trop d’attache à ses vieilles brochures. Nous y renvoyons le lecteur pour arriver sans cet encombre à l’amendement de M. Fresneau, qui a engagé nettement le débat. M. Fresneau est un jeune orateur ; il faisait là ses premières armes, et il les a faites avec un grand succès. Il demandait la suppression du préambule. M. de Lamartine a cru devoir descendre lui-même dans la lice pour combattre l’amendement ; il a été plus heureusement inspiré qu’il ne l’était depuis long-temps, et un succès auquel nous ne pouvons pas nous associer a couronné cette éloquence dont l’éclat dissimulait trop souvent le vague. M. de Lamartine adore la propriété, mais il la croit corrigible. Nous nous contentons de l’aimer, mais nous permettrons le moins possible qu’on la corrige. Le résultat des fluctuations de cette pensée errante, des caprices sonores de cette parole poétique, c’est toujours, au demeurant, pour l’orateur, d’être applaudi à droite sans être désavoué à gauche. M. de Lamartine a passé toute sa vie à se figurer qu’on pouvait jouer ce jeu-là sans s’y compromettre.

Le préambule admis, les sept premiers articles suivaient à peu près d’emblée. Le huitième contient le droit au travail, le problème démesurément grossi sous l’ombre duquel ont fermenté tant d’ambitions et couvé tant de mensonges. Pour que la solution fût plus tranchée, M. Mathieu de la Drôme est venu proposer à l’assemblée de rétablir dans la constitution le texte du premier projet : « La république reconnaît le droit au travail. » Déjà, dans une discussion qui s’était prolongée parallèlement à la discussion du projet de constitution, le fameux problème avait été touché. Nous voulons parler de la révision du décret du 2 mars, relatif à la fixation des heures de travail. Il n’avait pas été difficile aux hommes éclairés de montrer tout ce qu’il y avait de folie à réglementer l’industrie ; ils réclamaient la liberté complète. Un orateur chez qui le sens pratique semble avoir devancé l’expérience des années, un orateur plein d’esprit et de tact, M. Buffet, avait dédommagé l’assemblée d’une interminable apparition de M. Pierre Leroux, et réfuté vigoureusement les divagations sophistiques de son adversaire. Le gouvernement a cru cette fois encore qu’il était politique de prendre un moyen terme ; il a désiré qu’on fixât la journée de travail à douze heures, au lieu des dix que prescrivait le décret du 2 mars. L’assemblée, qui avait d’ailleurs assez goûté une argumentation de M. Corbon, intéressante et