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mal accueilli. Lorsque la commission se mit à la besogne, elle croyait en partie, et l’on croyait surtout autour d’elle, qu’il fallait, au contraire, inventer beaucoup, inventer le plus qu’on pourrait. La commission ne devait pas manquer d’une certaine déférence pour ces allures de l’opinion ; ces velléités de refaire le monde qui couraient les cerveaux et les rues, sans envahir la pensée plus sereine et plus lucide des hommes graves, ne laissaient pas de l’effleurer. Il était des gens qui escomptaient à l’avance des réformes radicales où la vieille société s’engloutirait ; nous dirions volontiers, en demandant grâce pour cette trivialité, qu’ils avaient les yeux plus grands que le ventre. Une fois en demeure de procréer le nouveau, l’on s’est aperçu pourtant que le nouveau n’existait pas, à moins qu’on n’entendît par-là l’impossible ou l’absurde. Ce n’est point au bout de soixante ans qu’un évangile social est usé. La révolution de 89, qui s’est chargée d’écrire le nôtre, n’est pas prête à se retirer devant le grimoire sous lequel des esprits présomptueux et mal faits voudraient ensevelir les tables majestueuses qu’elle nous a léguées. Révolution bourgeoise, crient contre elle certains révolutionnaires de 1848, révolution bâtarde, qui n’a donné que la liberté, tandis qu’ils vont décréter la fraternité ! Il n’y a qu’une sorte de devoir qu’on décrète, c’est le devoir auquel correspond un droit ; mais ces nobles devoirs, dont l’accomplissement est l’honneur de l’homme, parce qu’il est la démonstration de sa liberté, puisqu’il ne les accomplit souvent qu’à son dam, et qu’il ne peut être forcé de se nuire à lui-même, ces éternels devoirs de charité et d’amour, on ne les ordonne pas, on ne les réglemente pas : on les prêche d’exemple. Toute autre impulsion, toute prescription législative qui descendrait ainsi dans les cœurs n’est qu’un outrage impuissant. Enjoindre au nom de la loi d’aimer et de se dévouer, c’est traiter l’homme libre en esclave ; c’est lui rendre le dévouement insupportable, parce que tout le charme, tout le prix du dévouement est dans sa spontanéité.

C’était là cependant la grande découverte avec laquelle les novateurs prétendaient régénérer la patrie. Telles étaient la métaphysique et la morale sur lesquelles ils échafaudaient leur nouvel édifice : la grosse pierre, la clé de voûte de cet édifice, c’était le droit au travail. M. de Cormenin l’avait inscrit solennellement dans la première édition du projet de constitution. Si l’on s’étonne qu’une tête aussi rompue aux choses pratiques ait accepté cette trouvaille de méchans logiciens et de rêveurs sentimentalistes, que l’on se reporte tout bonnement au long chapitre des inconséquences de Timon ; il n’y en a pas une qui n’ait été calculée. Les événemens de juin ayant buriné sous ce mot de droit au travail leur sanglant commentaire, la commission l’a retiré de son projet amendé, pour y substituer un à-peu-près. Au lieu de concéder que le citoyen avait droit au travail, elle a déclaré que la société devait du travail au citoyen. Si cette déclaration est autre chose qu’une traduction adoucie de la formule dans laquelle on persisterait ainsi tout en semblant l’effacer, et cela ne se peut pas, c’est donc purement une exhortation une homélie. On s’expliquera là-dessus à mesure que la discussion avancera, et M. Dufaure s’est aujourd’hui déjà loyalement prononcé ; mais, quoi qu’il en soit, voilà tout au juste à quoi se réduit la portée sociale que Ton avait avisée dans je ne sais quels songes pour la nouvelle constitution ; voilà, selon la stricte mesure du possible, le talisman qui devait la changer en mer-