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haut la cause de la résolution qu’il a prise. Nous pensons l’apercevoir dans la continuation volontaire de ce système de bascule dont nous avons tant de fois déjà montré les périls. Le général Cavaignac tient trop évidemment à ne pas rompre avec les fractions extrêmes de l’opinion démocratique, et quoiqu’il soit, s’il en fût, un républicain décidé, l’on croirait presque qu’il s’imagine avoir besoin de cette alliance pour se donner à lui-même un brevet, une garantie de républicanisme. Il s’est rencontré par un coup de providence que le plus rude châtiment dont on eût encore puni cette guerre des rues à laquelle la cause républicaine était naguère si souvent descendue, c’était justement un républicain de vieille date qui l’avait infligé. Le pays l’en a remercié par une confiance sans limites. Le chef du pouvoir exécutif ne veut point que cette universelle confiance, si méritée qu’elle soit, lui ôte tout-à-fait celle de la montagne. Il aurait volontiers l’ambition de garder la balance égale entre l’immense majorité dont les suffrages le grandissent, et la minorité dont les soupçons ou les reproches chagrineraient peut-être sa conscience inquiète. Il est aussi permis de supposer que, tout en étant parfaitement dévoué à cette majorité qui l’a plutôt adopté que produit, le général Cavaignac n’est pas très désireux de s’y absorber, qu’il ne serait point fâché de s’en différencier un peu par ces affinités dont la majorité ne se soucie pas. Il a bien ses raisons sans doute, mais voilà comment il arrive à donner des gages à un parti dont les prétentions dépassent de beaucoup l’importance. Les argumens qu’il apportait à l’appui de la suspension des journaux avaient trop l’air d’une satisfaction accordée aux griefs chimériques de l’extrême gauche contre la droite. La prudence significative avec laquelle il s’est défendu de blâmer la terreur n’était pas seulement un acte de piété filiale, puisqu’elle lui a valu les chauds complimens de M. Flocon.

Le général Cavaignac couvre, il est vrai, non sans habileté, cet usage particulier qu’il fait de son initiative, en se mettant à la discrétion de l’assemblée, en repoussant loin de lui, dans la sincérité de son âme, toute idée d’empiétement ou d’accaparement. Oui certes, le pouvoir exécutif n’est, à l’heure qu’il est, qu’une délégation de la législature, et si le général Cavaignac a frappé rudement la liberté de la presse, c’est avec le concours de l’assemblée nationale. Les regrets que nous inspire cette mesure rigoureuse n’en sont malheureusement que plus vifs, et nous ne craignons pas de les exprimer quand ils se sont déjà manifestés avec tant de force, au sein de l’assemblée, par les organes de tous les partis. M. Ledru-Rollin lui-même a été presque simple, presque naturel, en plaidant cette bonne cause. M. Victor Hugo a prononcé des paroles énergiques qui n’étaient point cherchées. M. Jules Favre a disséqué la question en jeu avec cette âpreté si contenue que l’on jurerait de la nonchalance, avec cette verve élégante et froide qui pique, perce et taille aussi tranquillement que si elle n’était pas la plus cruelle du monde. M. Jules Favre est toujours sûr de tuer les thèses qu’il a le plus brillamment soutenues de cette manière-là, parce que dans cette manière-là il y a trop de sa personne : or, il n’est point d’éloquence mieux écoutée ni de personne moins favorable. Le général Cavaignac, blessé par quelque intonation d’avocat, avait brusquement demandé la parole au milieu du discours de M. Favre : le discours terminé, il n’a pas voulu la prendre, comptant sur sa majorité, comme aurait pu jadis y compter un chef de cabinet dans