Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 23.djvu/954

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et, fût-on d’une conspiration heureuse, nous le savons bien, on ne se vante pas long-temps d’en avoir été. Nous sommes donc profondément constitutionnels, mais nous sommes aussi profondément libéraux, libéraux de la vieille école, soit, et qui estimons à trop haut prix en matière d’établissemens politiques les questions d’honneur et de dignité morale. C’est pour cela sans doute que nous ressentons avec amertume, que nous subissons avec embarras la situation où la presse est maintenant réduite par les dernières exigences du pouvoir exécutif, par les derniers votes de l’assemblée nationale. Un jurisconsulte, M. Liechtenberger, éprouvait des scrupules sur le mérite qu’aurait, en définitive, une constitution délibérée pendant l’état de siège. Un autre représentant, M. Crespel de Latousche, acceptant même l’état de siège, demandait qu’on s’abstînt du moins d’y ajouter, par une extension purement arbitraire, la faculté de suspendre les journaux. Le comité de législation, par l’organe de M. Charamaule, acceptant à son tour la suspension des journaux, demandait uniquement que l’on mît quelques formes à ce procédé draconien, et transférait le droit de suspendre du pouvoir exécutif au pouvoir judiciaire. L’assemblée nationale, vivement impressionnée par l’attitude et par les paroles du gouvernement, a décidé, à des majorités considérables, que l’état de siège ne serait pas levé, que les journaux pourraient être suspendus, et qu’il serait inutile de les juger avant de les suspendre.

Le gouvernement et l’assemblée nationale ont reconnu qu’il y avait nécessité de salut public dans le maintien de l’état de siège. Nous nous inclinons devant cette nécessité ; pour ne point l’aggraver encore, nous tâchons d’en oublier l’origine. De cela seul qu’elle est, elle a sa raison d’être ; nous n’en voulons rien savoir de plus, et nous ne cherchons point au-delà. L’état de siège cependant est un régime déterminé, qui a ses prescriptions spéciales, ses limites positives. Le retrait de la liberté d’écrire ne rentre point régulièrement dans ces prescriptions authentiques, c’est une rigueur de surcroît que l’on ne comprend point tant qu’elle n’est pas motivée par un surcroît de péril. Or, lorsque le général Cavaignac, répondant d’avance à la proposition de M. Crespel de Latousche, s’est expliqué du haut de la tribune sur les motifs particuliers qui l’obligeaient à cumuler avec l’état de siège pour la cité l’état de dépendance pour la presse, qu’a-t-il dit de ce ton ferme et bref qu’il affectionne ? Quels dangers nouveaux a-t-il signalés qui réclamassent impérieusement un nouveau degré de dictature ? Nous avons sous les yeux son argumentation ; elle est tout entière en un point : le chef du pouvoir exécutif désire avoir une arme de plus pour faire une guerre irréconciliable à quiconque attaquera le principe républicain.

Les républicains s’indignaient beaucoup autrefois que la royauté défendît de contester le principe monarchique ; ils voient enfin aujourd’hui que c’était chose assez naturelle. Nous ne leur reprochons pas d’être devenus plus consèquens : il est vrai que la logique tourne maintenant à leur profit, mais c’est bien le moins que la bonne fortune rectifie le jugement par quelque endroit, elle le gâte par tant d’autres. La royauté pourtant, quand elle protégeait ainsi son principe, n’employait pas d’autres mesures que des mesures de répression. Les lois de septembre avaient toujours cela d’avantageux, qu’elles nous dispensaient de la censure : on devrait bien y songer un peu, lorsqu’on leur jette si fièrement la pierre, tout en nous gratifiant d’une censure qui ne prévient qu’en supprimant.