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mais rarement originale. Elle ne se distingue ni par le choix heureux des timbres, ni par le piquant des modulations et la nouveauté des harmonies. On sent qu’il traitait son orchestre avec trop de légèreté, qu’il l’écrivait trop vite sans se donner le temps d’assortir les couleurs et de combiner les nuances. Il entend à merveille l’art d’accompagner les voix sans les fatiguer, mais il abuse des formules, des progressions connues, du crescendo, des rhythmes et des instrumens criards et vulgaires, qui surexcitent la sensibilité nerveuse et enivrent l’oreille aux dépens de l’émotion du cœur et des plaisirs de l’intelligence. Donizetti était trop pressé de vivre et de produire pour attendre dans le silence l’heure bénie de l’inspiration. Venu au monde quelques années après Rossini, Donizetti subit d’abord l’emprise de ce maître tout-puissant ; dont il reproduit les idées et les formes avec une naïveté et une dextérité charmantes. Les succès de Bellini, qui apparaît dans la carrière vers 1827, font également impression sur lui, et, sous la double influence de ces deux génies si différens, il écrit Anna Bolena, où il est impossible de méconnaître la rêverie pénétrante, la sobre et tendre mélopée qui caractérisent l’auteur du Pirata, de la Sonanbula et des Puritani. Mûri par l’expérience, dans toute la vigueur de l’âge et du talent, Donizetti se dérobe enfin aux impressions du dehors, et, dans un instant suprême, il crée un chef-d’œuvre, Lucia di Lamermoor, où il a condensé ses plus heureuses inspirations et son meilleur style. Tout ce qu’il a fait depuis porte l’empreinte plus ou moins accusée de cette délicieuse partition, qui est le fruit des idées littéraires et du mouvement musical qui se sont produits en Italie depuis 1830, c’est-à-dire depuis l’abdication de Rossini. C’est ici le lieu de caractériser en peu de mots ce mouvement et d’apprécier le mérite des principaux compositeurs qui l’ont provoqué ou qui lui ont obéi.

Lorsque parut Rossini, en 1812, les grands maîtres italiens de la seconde moitié du XVIIIe n’existaient plus, ou du moins ils avaient cessé d’écrire, car Paisielio n’est mort qu’en 1816. Au milieu des nombreux et pâles imitateurs qui s’étaient partagé leurs dépouilles et reproduisaient leurs formes allanguies, trois compositeurs d’un talent plus original se disputaient l’empire de la mode : Mayer, Paër et Generali. Mayer, né dans un village de la Bavière, débuta sur la scène italienne vers 1794 ; il s’était acquis une assez belle renommée par trois ou quatre partitions telles que la Ginevra di Scozzia, Medea, la Rosa bianca, la Rossa, qui ne sont pas oubliées des connaisseurs. Une orchestration un peu plus nourrie que celle de ses contemporains, une certaine expérience dans l’art de traiter les morceaux d’ensemble, des idées mélodiques un peu courtes, mais qui ne sont dépourvues ni d’éclat, ni d’élévation, ni même de cette tendresse un peu voilée d’où semble jaillir un reflet de la sentimentalité allemande, telles sont les