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celui-ci, cherche à me rendre le courage. Je t’avoue que, si je le faisais pour moi, je le laisserais pour en exécuter d’autres qu’on me demande instamment. »

L’année suivante, on retrouve les mêmes doléances dans une lettre du 5 mars au même peintre Navez. « J’ai à peu près fini mon tableau de Corinne. Sur les derniers temps que j’y travaillais, il me tombait tellement sur le dos, que je me suis décidé à le laisser là quelques semaines. J’y travaillais sans l’avancer. C’est un sujet trop difficile. Cette figure de Corinne est ingrate à faire, car on ne sait quel caractère lui donner ni quel costume. D’après ce qu’on me dit, je crois qu’il y a des choses dont la couleur est plus forte que dans mes autres tableaux ; mais, si j’avais prévu tout le mal que cette maudite peinture me donnerait, à coup sûr je ne l’aurais pas entreprise. »

Il s’était en effet risqué, à la fin, à peindre sa Corinne d’après la Maria Grazia ; mais, pour personnifier l’inspiration, copier ne suffisait point, il fallait créer. Le souffle créateur faillit. Ramené incessamment, malgré tous ses efforts, loin du domaine de l’imagination, sans cesse, à la place de l’idéale figure de Corinne, il mettait, dans sa pensée, un des poètes populaires de la Mergellina, du Môle ou de la foire de Carditello. Un instant même, il avait espéré que le propriétaire du tableau accepterait la substitution ; il l’en pressa plusieurs fois, alléguant son peu d’aptitude à ajuster, pour l’Oswald, des vêtemens à la mode. Enfin, sur le refus de l’amateur, il préféra achever à sa guise et pour son compte le tableau commencé, plutôt que de s’escrimer à rendre ce qu’il ne sentait point. Il gratta donc avec le rasoir la figure de Corinne, y substitua un improvisateur, et le tableau annoncé sous ce premier titre de Corinne, au livret du Salon de 1822, mais non exposé, parut, deux ans plus tard, métamorphosé sous le nom, aujourd’hui si connu, de l’Improvisateur napolitain.

Cette transformation de la toile n’a rien de surprenant, surtout chez Robert. David, son maître, qui ne revenait guère sur son travail, n’a laissé que bien peu de repentirs dans ses tableaux, parce qu’il effaçait, s’il avait à refaire, afin d’éviter les repoussés et l’altération inévitable des couches d’huile superposées ; mais de tous les peintres, Léopold fut le gratteur le plus intrépide : il faisait un usage presque aussi fréquent du rasoir que du pinceau, et y avait une merveilleuse adresse. Telle page était couverte ou en partie terminée : un beau jour, ses amis ne retrouvaient plus rien que la toile grise. Il appelait cela travailler à la manière de Despréaux : « Celui-là, disait-il, m’a appris à peindre autant que M. David. »


F. FEUILLET DE CONCHES.