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V.

Robert fit de ses peintures une exposition générale à Rome ; mais, dépourvu de ce savoir-faire qui met à appeler les éloges et les succès tout le talent et l’art qu’il employait à les mériter, il fallut qu’un Vaudois, le consul de Suisse, M. Auguste Snell, son banquier et son ami, amenât dans son atelier la duchesse de Devonshire, qui le prôna, et qu’un artiste bienveillant fît voir son exposition à un riche curieux, le colonel de Lamarre, qui aida à lui donner le premier essor. Depuis lors, son nom passa de bouche en bouche ; les générations successives de voyageurs se le léguèrent, et la réserve modeste du jeune peintre le servit auprès d’eux autant que son talent.

L’extérieur, chez Robert, n’avait, il faut le dire, rien de séduisant pour qui le connaissait peu. C’était un homme petit, grêle, d’un aspect lourd et sans distinction. A ses vêtemens de couleur foncée, étroits, exactement boutonnés, à son chapeau rabattu sur les yeux, à sa grosse tête enfoncée dans les épaules, à son air gauche et refrogné, à l’arc de ses sourcils se fronçant l’un vers l’autre, au timbre discret et timide de sa voix, on reconnaissait un caractère peu expansif, un esprit soucieux. Partout il prenait la dernière place et le dernier rôle. Comme tout homme à pensée unique, il respirait l’ennui : mais, s’il parlait, sa conversation, quoique embarrassée, peignait d’un mot bref et juste. Se sentait-il à son aise, le nuage qui obscurcissait son front se dissipait, et qui avait causé avec lui finissait par lui trouver je ne sais quoi de fin et de vrai, de sensible, d’aimant et de triste, digne à la fois de sympathie et de respect.

Il était temps que la fortune lui sourît, car les trois années fixées par M. Roullet venaient d’expirer ; déjà même le pauvre artiste s’était vu contraint de demander, pour quelque temps encore, la prolongation de sa pension ; mais, soutenu par la vogue, cette fois d’accord avec le bon goût, il fit de petits tableaux qui se vendirent rapidement, et de ce jour il se maintint par ses propres ressources. Il put même, deux ans après (1822), enlever à l’horlogerie et appeler à Rome son frère Aurèle, doux et intelligent jeune homme, dont il voulait faire un artiste, et qui demeura jusqu’à la fin le compagnon fidèle de sa prospérité, de ses triomphes et de ses peines. De ce jour aussi, continuant à affronter vigoureusement la vie, la retraite et la pauvreté, il n’eut de relâche qu’après s’être acquitté envers M. de Mézerac, qu’après avoir remboursé à sa famille les avances faites pour son instruction.

Les ouvrages qui avaient d’abord appelé sur Léopold Robert l’attention du public en Italie n’étaient, à vrai dire, que des études historiées. D’ailleurs, la nature sombre des sujets de brigands avait fini par le