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le Tibre à la nage, ils font, dénués de tout, quarante à cinquante lieues à travers champs et bois, et se jettent dans les montagnes de Terracine, où leur tête est mise à prix.

Le compagnon de Nardelli était un lieutenant de Gasparone. Quelques hommes se groupèrent autour d’eux, et la troupe, pendant deux années, se teignit du sang des carabiniers romains et napolitains. Les bandits, acculés finalement sur une montagne, disputèrent pied à pied ce dernier poste, et tombèrent, l’un après l’autre, sous la fusillade. Seuls, le lieutenant et Nardelli résistaient encore ; mais le cercle se rétrécit incessamment. Enfin, au sommet, les carabiniers aperçurent le lieutenant agenouillé, dont le fusil était appuyé sur une roche : le coup allait partir ; les carabiniers se précipitèrent : l’homme n’était plus qu’un cadavre, une balle l’avait atteint à la poitrine au moment où il se préparait à faire feu. Son sang fumait encore, et c’est à peine si l’homérique bandit s’était affaissé dans la fière attitude qu’il avait prise. A cet instant, un tronc de pin croula du flanc de la montagne : c’est Nardelli qui l’avait déraciné, et qui, accroché aux branchages, se faisait crouler avec lui. Sanglant, plus qu’à demi mort, il est conduit à Mola di Gaëta, et les gendarmes napolitains viennent demander au gouvernement pontifical les cent piastres promises ; mais on reconnaît qu’il est sujet des Deux-Siciles, et Rome refuse. Nardelli rentra aux prisons de son pays pour y attendre la potence ou une grâce douteuse.

Cependant Maria, qui savait la mise à prix de la tête de son mari et ses exploits de la montagne, apprend qu’il est arrêté, mourant et condamné. Elle songe sans tarder à convoler à de nouvelles noces, et s’informe s’il n’y aurait pas moyen de hâter l’exécution du jugement. Morta la bestia, morto il veneno, disait-elle dans sa tendre sollicitude. Un jour donc, elle va à la place Barberine, la place des écrivains publics, et s’y fait faire une pétition pour l’ambassadeur de France. Armée en guerre de tous ses atours et de tous ses attraits, elle se présente chez le duc de Laval-Montmorency. Les valets font mine de lui refuser la porte ; elle la force. « C’est moi, la Grazia, dit-elle au duc ; je viens vous demander justice de ce gouvernement napolitain qui n’en finit pas et me fait languir. » Je passe les détails de l’entrevue ; le duc en a gardé le secret. Malgré cette démarche, les bonnes nouvelles qu’attendait la Grazia n’arrivant pas, la belle Romaine perdit enfin patience. Se mariait alors qui voulait, à Rome, sans papiers et sans consentement de famille. Une commère se trouva d’ailleurs qui déclara devant l’autorité qu’elle avait entendu dire par un marinier que Nardelli était mort, et un nommé Kimerly, de race bohème, chapelier de son état, devint l’heureux époux de la prétendue veuve.

— Mais êtes-vous bien sûre, lui demandai-je, que votre second mari soit bien mort ? S’il revenait ? — Oh ! répondit-elle, j’espère qu’ils