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soumission ; mais, quand il arrive, les délais étaient expirés depuis quelques heures, «t on l’arrête, comme s’il eût été pris les armes à la main. Il rugissait de fureur. On l’enchaîne, et, pendant que sa femme continue à poser pour Robert aux Termini, on envoie le malheureux à Porto d’Anzio. « Tanto meglio ! — me disait Grazia, quand, à Rome, en 1846, elle me contait ses aventures à l’académie de France[1], — tanto meglio per questo cazzaccio che e venuto ad arrendersi ! Fosse arrivato cento anni prima ! (Tant mieux pour cet imbécile qui était venu se rendre ! Plût à Dieu que cela fût arrivé cent ans plus tôt !) Quand on l’arrêta, ajoutait-elle, j’étais encore aux Termini. Là, ma vertu éclatait à tous les yeux ; mais le tigre d’Anzio entend dire que les prisonnières des Thermes causent avec des hommes par les fenêtres. Furieux de jalousie, il s’échappe, se glisse à Rome, et rôde autour de ma prison pour me tuer. On l’arrête, et il est remis à l’ombre à Porto d’Anzio, où il en eut encore pour cinq ans. »

Il semble que, femme et Italienne, menacée du couteau, Grazia va courir à la vengeance. Qu’on se détrompe : le peuple de Rome ne rompt pas pour si peu. Sa dureté, d’ailleurs, n’était que sur les lèvres, son cœur était sans fiel ; dès qu’elle fut sortie des Termini, elle alla voir de temps à autre son mari à Porto d’Anzio, et fit sa paix. Elle supplie même alors qu’on le rapproche d’elle, et l’ardeur de ses démarches, pour obtenir une commutation, répond à l’ardeur de son caractère extrême. Elle redemande son Nardelli au monsignore de la police, elle le redemande aux cardinaux, au pape, à la madone. « Elle eût écrit à Dieu, disait-elle, si la poste allait jusqu’à lui. » Enfin, grâce à l’intervention de notre ambassadeur, le duc de Laval-Montmorency, elle obtint que le forçat d’Anzio fût transféré au château Saint-Ange.

Le mari, devenu sage, n’avait plus guère alors que dix-huit mois de fers à subir. Il comptait même un peu sur les fêtes pour faire diminuer son temps, car, si à Rome on ruine en fêtes le pauvre peuple, encore en tire-t-on quelque indulgence religieuse ou civile. Malheureusement tout cet échafaudage d’espérances croula sous un édit de Léon XII, qui reléguait à perpétuité à la citadelle de Civita-Vecchia tous ceux qui avaient trempé dans le brigandage. Point d’exception, même pour celui qui touchait au terme de sa captivité. Dès-lors, Nardelli, au désespoir, prend son parti. Il s’associe à un prisonnier déterminé comme lui, et, un jour qu’ils sont en quelque taillis écarté à faire du bois, chacun d’eux tue son soldat (chaque galérien a son soldat qui le garde comme son ombre), et s’évade. Passant alors, côte à côte,

  1. Dans sa description de la galerie du Palais-Royal, M. Vatout (article de Maria Grazia, tableau peint par Schnetz) donne une histoire de cette femme, nous ignorons sur quels documens. Nous sommes forcé de dire qu’il n’y a pas le moindre détail qui en soit exact. Un homme d’esprit comme M. Vatout eût, à coup sûr, mieux inventé, s’il se fût livré à son imagination.