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on tiendrait au cas où la porte serait forcée : Robert, pour toute réponse, passa dans la chambre voisine, et jeta ses riches armes aux pieds de ses amis. Il y avait de quoi équiper toute l’escouade[1].

Tandis que le procès des brigands s’instruisait avec lenteur, le gouvernement romain, fatigué des dépenses de la détention, donna quelque liberté aux prisonniers des Termini. D’abord, leurs femmes et leurs enfans vaguèrent en mendians dans les rues ; puis successivement quelques hommes furent élargis sur parole, et ces fils des montagnes, où la nature fait tout plus grand et plus beau, frappèrent bientôt les regards par leurs haillons pittoresques et leur beauté sauvage. Tout ce qu’on avait raconté de leurs prouesses excitait au plus haut degré la curiosité du peuple, d’autant que, chez le descendant de Romulus, toujours si prompt au couteau, le brigandage et l’assassinat ne déshonorent point comme dans nos sociétés réglées. La fille du peuple trouve à son fiancé un air de héros, s’il a couru les aventures de la montagne, et Robert disait même que la plupart de ces bandits avaient conservé certaines qualités primitives, une sorte de dignité, et qu’au fond c’étaient d’assez bonnes gens.

Après le sac de Sonnino, le préjugé favorable aux héros de la montagne était dans toute sa force, et l’indulgence romaine sembla caresser les habitans des Termini. Ces malheureux devinrent une population de modèles, que, par égard pour le besoin des ateliers, dans cette ville des arts, le gouvernement romain n’eut plus le courage d’incarcérer ou de bannir ; mais l’abus fut bientôt à côté de l’usage, et, bien différentes de ces dames romaines qui ne professaient la philosophie que couvertes d’un voile, la plupart des femmes modèles ou soi-disant telles professèrent trop ouvertement l’épicuréisme de la beauté sans voile. Le gouverneur de Rome en fit enfermer quelques-unes, et il fallut aux autres, pour conserver leur liberté, un certificat de modèle délivré par le directeur de l’académie de France. De jeunes artistes prirent les plus sages à leur service ; les plus sages, bien entendu, furent les plus belles. C’est ainsi que Maria Grazia, la plus remarquable de ces femmes de Sonnino, fut bientôt comme chez elle, avec sa sœur Teresina, chez Schnetz et chez Robert.

Tandis que le mari de Grazia portait à la jambe l’anneau de fer du bagne, et tenait une misérable et chétive contenance au château Saint-Ange et plus tard à Porto d’Anzio, la belle montagnarde sonninèse errait par la ville et faisait la fortune des ateliers. C’était le vrai type de la femme de brigand : superbe de stature et de forme, la tête

  1. On peut voir à ce sujet deux articles de M, Eusèbe Gaullieur, dans la Revue suisse, publiée à Neufchâtel, mois de février et de mars 1847. Ces articles, écrits avec amitié, mais avec un ton de sincérité parfaite, contiennent plusieurs détails intéressans, principalement sur la jeunesse de Léopold Robert.